jeudi, septembre 28, 2017

Comme un ouragan part 5.

Harvey, suite et fin.

La reconstruction prendra du temps, beaucoup de temps. Chaque jour, la Croix-Rouge et d'autres associations demandent de l'aide. Ayant repris le boulot, ce n'est plus possible pour nous de nous libérer quatre ou cinq heures d'affilée (les assos demandent souvent 10 à 12H de disponibilité par jour !). 

Cependant, un samedi, quand l'association des Humanistes de Houston propose un nettoyage des maisons sinistrées dans les quartiers modestes de la ville, on décide de s'inscrire. Il faut croire que l'avalanche de "God bless you", de "I'm okay, thank God" et les images de gentils volontaires chrétiens déblayant les gravats ont aiguillé notre militantisme : nous, on va montrer que les athées font aussi bien. 

Rendez-vous à 10H sur le parking de Fiesta, un supermarché hispanique. On nous explique qu'il faudra une personne bilingue par groupe, car le quartier est peuplé d'immigrés ne parlant pas anglais, qu'il faut bien documenter l'état de la maison et discuter assurance avec les propriétaires avant de tout casser. On nous tend un seau avec masques, gants, sacs poubelles géants, cutter et javel. A dans cinq heures.

Nous mettons un bon moment avant de trouver la maison : c'est un lotissement si neuf qu'il n'est pas encore répertorié sur Google maps. Le quartier entier est sinistré. Des piles géantes de meubles rongés, de vêtements foutus et de plâtre sont disposées tous les trois mètres. La famille ne parle effectivement pas anglais : c'est à moi, et à mon espagnol vacillant, d'assurer la communication. Mon vocabulaire des travaux n'est fameux ni en anglais ni en espagnol, peut-être même pas en français à vrai dire, mais avec quelques gestes, on se débrouille. 

Notre groupe se compose de cinq personnes : trois femmes, une adolescente, et N. Il faut nettoyer le sol, couvert de boue séchée, arracher le linoléum, découper les cloisons et retirer la laine de verre gonflée par les eaux. La moisissure noire est visible : on a si chaud qu'on respire mal, mais pas questions d'ôter les masques. Il y a potentiellement une dizaine de maladies respiratoires à choper. 

L'après-midi, je me charge de déblayer le terrain avec Alina, la maîtresse de maison. Nous jetons laine de verre détrempée, planches pourries, cahiers d'écolier, couches (propres) imbibées, jouets d'enfants... Ca fout un cafard terrible. Alina secoue la tête en disant "ropa, ropa...tanta ropa" ("des vêtements, des vêtements... tant de vêtements"). Deux ou trois fois, en tombant sur un jouet plastique en bon état, je lui demande si elle est sûre qu'elle veut le jeter. Elle finit par me dire "tu sais, l'eau qui était dans la maison, elle contenait une couche d'excréments qui flottait à la surface." Je comprends mieux, et ne demande plus.

A 15H sonne le rassemblement des troupes. On est loin d'avoir fini, mais la conductrice du groupe a besoin de rentrer. Je précise à Alina qu'elle peut rappeler l'asso quand elle veut, qu'on peut encore l'aider. Au moment de partir, elle nous serre dans ses bras et je crois bien qu'elle va se mettre à pleurer. On voudrait tous faire tellement plus, on promet de contacter d'autres assos qui peuvent l'aider à avoir un nouveau lit, de revenir. La vérité, c'est ce que cette famille va devoir squatter chez le beau-frère encore plusieurs mois, que l'argent du fonds fédéral n'arrivera pas avant des lustres, et qu'en plus on n'est même pas sûrs que les inondations ne se reproduiront pas en 2018 ou 2019. 

Des voix s'élèvent pour accuser le changement climatique, la destruction des wetlands qui absorbaient les pluies, l'absence de planification urbaine, le zonage dépassé qui n'indique plus aux propriétaires si leur maison risque d'être inondée. Certes, les quartiers qui ont souffert d'Harvey sont modestes, mais ceux qui ont été volontairement inondés pour soulager les deux réservoirs le sont beaucoup moins. Tout cela va donner lieu à des procès, et l'on peut espérer voir les choses changer. Un peu. Mais c'est déjà ça de pris.

mercredi, septembre 27, 2017

Comme un ouragan part 4.

Maintenant qu'on peut à nouveau circuler, on a envie de donner un coup de main. Les sites de la Croix-Rouge, de Baker Ripley et autres associations sont saturés d'appels. Je m'inscris sur tellement de listes de bénévoles que, quand je finis par recevoir un message, je ne sais même plus d'où ça vient. Qu'importe : on nous demande de venir à partir de 10H au foyer de l'Armée du Salut. On ira. 

A l'arrivée dans le bâtiment, des gens dorment dans le couloir. On nous fait signe d'entrer, on prend nos noms, et puis on nous dirige en cuisine. Il faut préparer le déjeuner pour 120 personnes, soit 50 de plus que ce foyer héberge habituellement. Il y a donc là sans-abris "traditionnels", et sans-abris "occasionnels", pêle-mêle. Je dois dire qu'on ne voit pas vraiment la différence. 

On découpe des tomates, on déballe des cookies pour le dessert, quand soudain arrive un camion plein à ras bord de dons. On décharge les dizaines de barquettes sur le plan de travail. Maria, la chef de cuisine, inspecte le tout : des oeufs au bacon, du riz cuit, de la salade, des pains naan, des saucisses... Elle renifle, touche, en fout les trois quarts à la poubelle. "Si je ne suis pas prête à le manger moi-même, je ne le donne pas aux résidents", explique-t-elle. Les restaurants locaux ont voulu se montrer généreux, en nous envoyant leurs invendus ; mais il est clair que les règles élémentaires de conservation n'ont pas toujours été respectées. 

Maria décide qu'on servira les 130 burgers qu'une compagnie texane, Chick Fill-A, avec des chips ce midi. En dessert, quelques tiramisus rescapés de la poubelle, cookies et muffins colorés. Drôle d'idée, pour une nourriture censée reconstituer les évacués et les SDF. En France, chez l'abbé Pierre, c'est plutôt jambon cuit, purée et petits pois. Le lendemain midi, même topo : pizzas géantes, livrées par Russo's, chips, et cupcakes. Je remarque qu'il y a un tiers d'enfants dans les bénéficiaires que nous servons. Bon. J'admets que les principes d'équilibre alimentaire ne soient pas la priorité en ce moment.

Au moment de passer à la vaisselle, un gars du service jeunesse vient nous chercher : un gars venu livrer du matériel de chantier depuis l'Arkansas a rempli le reste de son camion de packs d'eau. Il faudrait décharger. Il fait à présent 32 degrés sous le soleil texan et personne ici ne manque d'eau, mais on accepte le cadeau. Tout cela sera redistribué dans les coins du Texas qui en ont besoin. Vers 13H30, crevés, on se dit qu'on aimerait bien partir. 

Mais c'est le moment que des particuliers choisissent pour amener des chargements entiers de couvertures, savons, chaussettes, jeux pour enfants, etc. Pas question de leur dire de revenir plus tard : ils ont déjà eu un mal de chien à trouver un centre qui accepte encore les dons, tellement tout est surchargé. Alors on collecte, on trie : le neuf, le deuxième main, le pour maintenant, le pour plus tard. On trouve des trucs étonnants : mais qui diable fait don de chaussettes d'occasion ? 

A 14H15, on rentre s'affaler sur le canapé, assez satisfaits, finalement. C'est bête à dire, agréable d'échapper un moment au syndrome du survivant, celui qui n'a souffert de rien alors que tant de gens ont tant subi autour de lui. 

(Bon. Le deuxième jour à l'Armée du Salut, on a assisté au show d'un magicien apparemment hyper célèbre, David Blaine. L'équipe de com' nous a demandé d'enfiler des tabliers siglés de leur logo et de se placer dans le champ des photos. Et voilà comment on se retrouve imposteur magnifique : on trônera sur le site internet de l'assos après y avoir donné en tout et pour nous 8H de notre vie, alors que les vrais bénévoles n'ont pas été sollicités... On s'est sentis un chouïa moins contents de nous du coup). 

lundi, septembre 25, 2017

Comme un ouragan part 3

Les jours avancent, l'école reste fermée. Six jours ouvrables, auxquels s'ajoutent week-ends et un lundi férié, soit 11 jours d'assignation à résidence. Plusieurs autoroutes sont coupées, car elles servent de bassin pour stocker l'eau et dégager d'autres voies. Des "underpass", ces routes souterraines, sont impraticables : l'eau y atteint parfois un bon mètre. 

Nous avons de la chance : non seulement nous habitons au 5e étage, mais nous sommes aussi près du quartier riche de la ville, dont les pompes fonctionnent extrêmement bien. Nous avons de l'électricité, internet, de l'eau potable non polluée. Chaque jour ou presque, je profite d'une accalmie pour aller constater la situation en "live" : quelques branches cassées, quelques ruisseaux qui n'étaient pas là la semaine dernière, mais globalement, rien de grave. 

Le plus inquiétant, c'est la fermeture des commerces. J'en développe des réflexes de survie : combien de temps peut-on tenir avec cette quantité de bouffe ? Encore dix jours, selon mes calculs. Nous avons assez d'eau en bouteille pour tenir quatre jours sans se rationner, si jamais les canalisations sont contaminées. Chaque jour, on charge nos téléphones et ordinateurs à fond, au cas où. Nous avons disposé des bougies un peu partout dans l'appartement. Ce qui avait commencé comme des vacances improvisées se poursuit en mode guerre des nerfs. 

La télé américaine ne fait rien pour arranger les choses. Nous n'avons qu'une chaîne d'info en continu sur internet, CBSNews. Ce n'est pas peu dire que leurs reportages sont anxiogènes : câbles à haute tension cachés dans les flaques, alligators et serpents entrant dans les maisons à la faveur des inondations, réservoirs qui menacent de craquer, usines chimiques qui menacent d'exploser, moustiques porteurs de virus exotiques, découvertes de cadavres noyés dans des circonstances toutes plus abjectes les unes que les autres... On se croirait dans une superproduction hollywoodienne. 

La présentatrice semble presque se délecter d'employer des mots aussi dangereux, aussi rares, "explosion", "des dégâts qui se chiffrent en millions", "l'une des plus grandes catastrophes naturelles de l'histoire des USA". Ce sensationnalisme éhonté donne envie de vomir. Mais la crainte colle à l'écran : on veut savoir, évaluer, comprendre à quoi on a échappé, au juste. Il n'y a que quand mon coeur se met à battre à toute vitesse, alors qu'on parle de danger hypothétique, et à plusieurs kilomètres, que je parviens à me dire stop. Ca suffit. Les reportages crapoteux me font plus de mal que de bien.

On prend des nouvelles des copains, on en donne aux proches vivant en France. On peut situer avec précision le jour où les télés françaises font un reportage sur l'événement : ce jour-là, on reçoit quinze emails demandant si ça va. On essaie de ne pas s'agacer des connaissances facebookiennes droguées à l'info qui cherchent à t'expliquer ta propre situation. Comme si tu ne passais pas un quart de tes journées à te renseigner dans tous les sens. 

Le mercredi 30 août, pour la première fois depuis une semaine, le soleil brille quand on se lève. Harvey s'en est allé voir ailleurs. Notre partie de la ville est définitivement hors de danger. Maintenant, il faudra reconstruire, nourrir, aider ce qui n'ont pas franchement eu notre bonne fortune. 

dimanche, septembre 24, 2017

Comme un ouragan part 2.

Le samedi, au réveil, il pleut des cordes. A Houston, on a l'habitude, à chaque fois qu'il flotte c'est quasiment la mousson. Mais là, le ciel est noir, bouché ; il faut allumer la lumière électrique dès le petit matin. C'est très inhabituel, dans notre zone tropicale très lumineuse. Du haut de notre cinquième étage, on essaie de distinguer ce qui se passe en bas : pas grand-chose, semble-t-il. Les maisons et les arbres ont toujours la même tête qu'hier soir, en plus mouillé. 

L'école envoie un deuxième message : elle sera fermée lundi et mardi aussi. Le temps prend alors une consistance différente. On sera là, quatre jours, tous les deux dans notre 100m2, avec des livres, des films, une salle de sport trois étages plus bas et internet. Quatre jours sans aucune obligation extérieure : pas de boulot, pas de courses, pas de plein d'essence, rien. Juste du temps à modeler, dont on fera ce qu'on voudra, absolument. Quand a-t-on un moment comme ça, dans la vie ? Sans aucune sollicitation ? C'est presque relaxant. Et de fait, les premières nuits, je dors mieux : plus de stress, plus de chaleur étouffante ni de lumière aveuglante dans la figure à 7H du mat'. 

Le soir, notre amie et voisine nous invite à venir regarder un film chez elle. On accepte, contents d'échapper à l'assignation à résidence pendant quelques heures. Mais dix minutes avant l'heure, un orage formidable éclate. Je commence à douter que ça soit une bonne idée. La télé a parlé de câbles à haute tension qui pourraient être tombés, puis avoir été recouverts d'eau, et qu'on pourrait heurter par mégarde. N, à qui on a promis qu'on jouerait aussi à des jeux de société, ne veut pas en démordre : c'est à cinq minutes à pied, ce n'est rien, et il n'y a même pas dix centimètres d'eau par terre. Notre amie nous envoie des textos : ne venez pas, tant pis, on prévoit des mini-tornades d'ici minuit, ça craint. 

On met le nez dehors : bon, ça ressemble à une grosse tempête, mais je suis bretonne, j'en ai vu d'autres. On trottine donc, vêtus de notre plus belle cape de pluie, jusqu'à chez la copine, qui nous voit débarquer avec des yeux ronds : "You made it ! Waouh !" Elle nous installe dans la salle de repos communautaire. Tout autour traînent plusieurs résidents de son bâtiment, visiblement désoeuvrés et un peu inquiets. On commence à jouer ; j'ai vue sur la piscine, transpercée de grosses gouttes diagonales, éclairées par les projecteurs. Tout au long de la soirée, je la verrai se remplir dangereusement. 

Vers les 22H, on décide de monter chez notre amie regarder le fameux film. Il y a une accalmie. On décide d'observer depuis le balcon. Plus de pluie, mais la rue est devenue une petite rivière. Le trottoir est entièrement recouvert, et la route submergée en plusieurs endroits. Deux voitures sont noyées, sur notre gauche. Quelques fous, ou inconscients, conduisent dans ces bons soixante centimètres de flotte. Sans doute le fait d'avoir un 4x4 pousse-t-il à se croire invincible. Quelques-uns font demi-tour à mi-chemin, effrayés par le bruit que font leurs roues ralenties par les trous d'eau. 

Un couillon passe et repasse à toute blinde, comme amusé par le divertissement gratuit. Il pousse les autres voitures plus prudentes à accélérer, ou à continuer quand elles voudraient peut-être renoncer. Mais bientôt, les pompes étant super efficaces, l'eau diminue à vue d'oeil. Les trottoirs sont à nouveau visibles. Des gens commencent à sortir promener leur chien, d'autres viennent voir si leur véhicule a pris cher. Nous rentrerons presque à pied sec, juste aux alentours de minuit. 

samedi, septembre 23, 2017

Comme un ouragan part 1

(Le titre est facile, c'est vrai, je m'en excuse de suite, mais il me fait rire.)

Harvey, j'en ai entendu parler la première fois un mercredi, à la cantine, par une collègue de sciences américaine. "Vous savez qu'un ouragan se dirige vers nous dans les 48H ?" La tablée, entièrement constituée de profs présents depuis un an à peine, s'allume de petits sourires. "Moi j'ai presque envie de voir ça, on nous parle de saison des ouragans et on n'a encore rien vu." "Oui, enfin bon, si c'est comme à chaque fois, on nous dit de prendre des milliers de précautions et il ne se passe jamais rien." "Personnellement, je préfère ça au fait de me faire surprendre sans matériel, rétorque la collègue américaine. C'est pas si difficile de stocker de l'eau et de la nourriture pour quinze jours."

Son argument fait mouche. Qu'est-ce qu'on perd à se préparer ? Le lendemain, je profite d'un trou dans mon emploi du temps pour aller acheter un peu d'eau et de conserves. Première surprise : le supermarché qui est tout le temps vide est à demi-plein. Deuxième surprise : le rayon eau est quasiment dévalisé. J'embarque deux des dernières bonbonnes d'eau à prix raisonnable, et un pack d'eau gazeuse. 

En fin de journée, on repasse au Wall-mart du coin se procurer des bottes, des piles et des bougies : là, le rayon eau est complètement vide, ratissé. Il ne reste même plus les eaux bourrées d'anti-oxydants ou issues d'un puits himalayen ultra-pur à 3 dollars les 50cl. Qu'à cela ne tienne, les Américains autour de nous bourrent leurs caddies de soda et de jus de fruits. Je me demande vaguement si c'est ça qu'ils utiliseront pour remplir les biberons des nombreux bébés que j'aperçois. On achète aussi de la nourriture qui ne périme pas, au cas où on serait coincés plusieurs jours : pain, céréales, maïs et autres trucs en boîtes qui ne nécessitent pas de cuisson. Le réflexe des locaux est encore une fois différent : ce sont les chips, gâteaux et snacks qui partent le plus vite. Plus tard, on distinguera de jolis fruits et légumes pourrissant tranquillement sur leurs étagères, à travers les vitres des commerces fermés pour raisons de sécurité. 

Le soir même, l'école envoie un message à tous ses personnels : pas d'école demain, la météo est trop mauvaise. Je dois avouer que j'ai eu un petit mouvement de joie. A ce moment-là, on espérait encore que ça ne serait pas grand-chose, qu'on en serait quittes pour plus de peur que de mal, comme à chaque fois qu'on a une alerte aux inondations-éclair. 

Le vendredi matin, tout était calme dans le quartier. Je suis sortie faire un tour, en étrennant mes nouvelles bottes en caoutchouc. Il y avait bien quelques magasins qui clouaient des panneaux de bois sur leurs vitrines, d'autres qui empilaient des sacs de sable devant leur porte, mais la majorité semblait continuer à vivre comme si de rien n'était. Et puis les images de Corpus Christi ont commencé à arriver. 

La ville avait été frappée de plein fouet par l'ouragan. Des bâtiments avaient été pulvérisés, retournés sur eux-mêmes façon maisons de poupées et éparpillés sous forme de planches un peu partout autour. Des routes étaient bloquées. Des arbres déracinés. C'est là, je crois, qu'on a vraiment commencé à comprendre que c'était un danger mortel. 

Chez nous, Harvey ne débarquerait pas avant la soirée, voire le milieu de la nuit. La météo se voulait rassurante : ce n'est plus un cyclone de catégorie 4, juste une grosse tempête tropicale. Ce n'est plus le vent qui peut causer des dégâts, mais la pluie, surtout si elle s'installe un peu trop longtemps sur nos têtes. Mais on ne devrait pas avoir l'effet "soufflé par une bombe" des villes de la côte. On a respiré un peu mieux, et on est allés se coucher, se demandant un peu dans quel état on trouverait Houston au réveil.

mardi, août 29, 2017

Rentrer.

La France m'a choyée.
Des cent cinquante fromages achetés par mes parents pour me faire plaisir, à l'accueil de rock-star reçu dans mon ancien lycée, de pique-nique aux Buttes-Chaumont en baignade frileuse dans les eaux du Morbihan... Chaque instant ou presque fut un émerveillement. Paris est si belle, en août, que je lui pardonnerais même ses tables minuscules, ses toilettes ignobles et ses serveurs malpolis.

Mais voilà, il faut rentrer. Le coeur gonflé de l'amour des siens, et le coeur gros de devoir les quitter, on récupère ses énormes valises et on y va. 

A l'aéroport, dès l'enregistrement des bagages, je suis saisie par une petite voix flûtée qui m'appelle. C'est une de mes élèves – le vol en sera plein. A chaque fois que nos chemins se croiseront, au contrôle des passeports, à l'embarquement, elle m'interpellera comme si c'était la plus grande coïncidence du monde. Si j'apprécie la marque d'attention, je ne kiffe pas nécessairement le serrement de main aux parents que cela entraîne. Voyez-vous, quand on s'apprête à passer dix heures dans un avion, on a les cheveux sales, la tenue confortable, voire le vieux sac Quechua taché en bandoulière et un magazine à la con dans la main. La dernière chose dont on a envie, c'est d'assurer le service après-vente de son école. Alors, j'avoue, je suis allée me planquer au Relay H le temps qu'une famille que je connais passe la sécurité.

Tout au long du processus d'embarquement, l'automatisation des tâches m'a étonnée. Pour imprimer son billet, ça, on connaissait ; puis, pour enregistrer son bagage et le faire glisser sur le tapis roulant ; pour contrôler les passeports ; enfin, pour vérifier l'identité des gens montant dans l'avion. Rien qu'avec mon trajet personnel, c'est déjà trois jobs de supprimés (et pas mal de bugs). 

Le vol est finalement une extension de mon séjour français, avec surdose de films tricolores. J'hésite même à prendre un verre de champagne, parce que c'est censé être la spécialité d'Air France et parce que je peux, mais finalement, 11H du matin, c'est un peu tôt. Je me plonge dans "Le ciel attendra", film incroyable dont je n'avais pas entendu parler, et "Aurore", que je ne connaissais pas plus. Après tous ces mois d'Hollywood trustant les salles comme Netflix et Itunes, la finesse du cinéma européen me fait du bien. Détail qui ne gâche rien, mon plateau végétarien me sera servi avant tout le monde, faisant bien des envieux qui se demandent ce que je peux bien avoir de spécial. Très honnêtement, je savoure : c'est fort rare que mon régime alimentaire me donne l'impression d'être traitée comme une reine.

A l'arrivée, mon oreille remarque tout de suite le petit accent traînant des personnels au sol : nous voilà bien revenus dans le Sud étatsunien. Je ne suis pas triste, je suis à peine fatiguée : j'ai le sentiment de rentrer à la maison, la seule qui soit réellement mienne à présent, de réenfiler des vêtements confortables, que j'ai faits à ma taille. Serais-je en train de m'habituer au Texas ? Cerise sur le gâteau : l'agent d'immigration, en voyant ma carte verte, me lancera un grand « Welcome home » joyeux. C'est la première fois.  Vous savez quoi ? Ca m'a remuée.  

jeudi, juillet 13, 2017

Touriste dans son propre pays

Depuis deux semaines, je ne suis plus texane, mais à nouveau française. Une sorte d'expatriée, mais repatriée  jusqu'à la rentrée des classes. Et figurez-vous qu'il y a pas mal de choses qui me frappent. Tout d'abord : mais qu'est-ce que tout est petit et serré, à Paris ! Forcément, au Texas, avec la moitié moins d'habitants que la France, pour une superficie supérieure de 50 000km2, on est moins gênés par la foule. Les restos me semblent exigus, les clients d'à côté sont presque à portée de coude, et le volume sonore monte extrêmement vite. Oui, et les serveurs m'apparaissent super désagréables, aussi. Ca, c'était prévisible.
Ensuite, qu'est-ce que c'est beau, la France ! Je suis émerveillée par la moindre balade à pied dans Paris. Dans ma ville américaine conçue pour les bagnoles, on ne marche pas, ça n'a aucun intérêt, et de toutes façons le paysage n'est pas beau. Ici les vieilles pierres, les bords de Seine, les plages bretonnes, les maisons médiévales de Vannes, tout me semble avoir un cachet fou. Même les fringues m'enchantent par leur charme - moi qui ai toujours haï le shopping. Les Parisiens tellement stylés me font presque honte : j'ai pris de mauvaise habitudes au pays du jean et du tee-shirt informe.
Et puis, en vrac : les odeurs sont différentes (viande grillée ou frites à toute heure vs relents de pisse du métro), la bouffe presque aussi calorique (enchiladas Tex-Mex vs camembert rôti au miel) mais aux goûts plus subtils ici, ah encore des serveurs prétentieux, tiens les gens te laissent la priorité quand tu as la priorité... 
Mais le plus marquant, c'est que tout ici m'est plus facile. Je suis malade ? Je sais comment prendre rendez-vous chez le médecin, payer un prix fixe, me faire faire une lettre pour un spécialiste si besoin, demander conseil au pharmacien. Je veux parler avec ma banque ? Je connais les services, les taux, ce qui est garanti et ce qui ne l'est pas. Même le vocabulaire à utiliser chez le coiffeur m'est cent fois plus aisé qu'aux States, et pourtant je n'échange pas plus de quinze mots avec la personne qui s'occupe de mes cheveux. 
C'est un peu ça, l'essence de la vie d'expat : au-delà de la langue, qu'on maîtrise plus ou moins, le sentiment d'étrangéité, c'est surtout ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Tout est apprentissage, tout est effort et occasion de faire (encore) une boulette. C'est fatigant, mais ça ouvre l'esprit en grand. 

dimanche, juin 25, 2017

It isn't all bad

Une fois n'est pas coutume, je vais dire du bien de mon pays d'adoption (et cela inclut le Texas, parfaitement). J'ai déjà évoqué le confort américain, auquel on s'habitue très bien, et qui m'aide à comprendre pourquoi les Yankees sont souvent si perdus lorsqu'ils voyagent, même en Europe. Comment ça, y'a pas d'air conditionné chez vous ? Et l'ascenseur ? Nooon, les supermarchés ferment le dimanche et après 20H en semaine ?
Bref, un autre aspect de la vie ricaine qui me plaît, c'est le customer service, ou service client. Là où le serveur parisien vous fait sentir que vous avez de la chance d'être admis à dîner dans son restaurant, et que si vous êtes gentil il daignera vous apporter une carafe d'eau à la troisième demande, le serveur étatsunien vous déroule le tapis rouge. Il remplit constamment votre verre, vient vous demander plusieurs fois si tout se passe bien, même dans un petit boui-boui sans prétention, et s'il se trompe dans la commande, si elle tarde trop ou si votre pizza est trop cuite, une fois sur deux vous avez le droit à un truc gratuit. Le serveur américain est limite obséquieux. Il a intérêt, remarquez bien : jusqu'à un quart de son salaire dépend des pourboires, et il est légal au Texas de ne le payer que 2,13 dollars de l'heure. Oui, vous avez bien lu. C'est donc au client satisfait de lui assurer de quoi vivre dignement.
Mais force est de constater que cette culture est présente dans toute l'industrie des services. A titre d'exemple, pour nos vacances de Pâques, nous avions choisi un vol pour le Mexique un peu trop tôt, compte tenu de l'heure à laquelle nous quittons l'école et des embouteillages du vendredi soir. Le check-in se terminait à 17H, nous avons débarqués suants et soufflants à 17H10. Sans grand espoir, et recalculant déjà le coût de notre séjour avec un vol acheté en dernière minute, je me suis approchée du comptoir. L'employé a passé 15mn à essayer de forcer le système informatique à accepter mon enregistrement, et a passé tout plein de coups de fil à plein de collègues partout. Quand il m'a dit "désolé, je ne peux rien faire", j'étais reconnaissante des efforts fournis. Mais quand il m'a emmenée vers une autre employée qui a débloqué la situation à 17H25 pour un vol à 18H05, je les aurais presque embrassés. J'ai essayé d'imaginer ça en France. J'ai pas réussi. 
Dans les divers magasins, chez le coiffeur, à l'école, c'est comme ça : les gens sont super sympa. Le caissier du supermarché vous demande régulièrement quel est votre superhéros préféré, ou ce que vous allez faire pour le long wek-end. En revanche, se faire de vrais amis américains est souvent difficile pour les expatriés : au-delà de cet aspect cool et souriant, on a du mal à "toucher" les locaux et à établir une relation plus profonde. Il n'empêche, cette gentillesse de surface facilite grandement les rapports sociaux de base, et ça fait du bien. 

mercredi, mai 03, 2017

La notion d'effort

Parmi la multitude de différences culturelles, sujet permanent d'ébahissement, entre la France et les USA, il y en a une qui me tarabuste particulièrement : la notion d'effort. C'est tout à fait paradoxal, cette approche étatsunienne, et j'ai encore du mal à bien tout cerner. Mais je vais essayer.
Le premier lieu où la divergence est frappante, c'est sans doute le travail. L'effort y est survalorisé par rapport à la France : c'est tout à fait normal de faire des heures sup' non payées, de repasser au bureau le samedi, car on se définit presque par son métier. A l'école, c'est un peu la même chose (au moins dans les classes moyennes à aisées) : il faut prendre des cours particuliers le soir ou le week-end, faire de la musique, du sport, de l'art, quitte à se lever à 4H30, à rentrer à la maison à 19H, et à faire ses devoirs dans l'entre-deux. Tout cela est très bien vu : c'est courageux, volontaire, un investissement pou l'avenir.
En revanche, pour le reste du quotidien, l'effort est un concept carrément dépassé. Prenez l'effort physique : la majorité de mes collègues américains prennent l'ascenseur pour descendre du parking (deux étages) ou pour monter près de leur salle de classe (un étage). Même chose avec mes voisins (du coup, on a toujours de la place pour se garer à côté de l'escalier, c'est chouette). Prenez la nourriture : résister à la gratification qu'offre une part de gâteau à la crème, ou un burrito lardé de fromage, est une idée franchement saugrenue. Il est trois heures de l'après-midi et vous avez déjà mangé quatre fois aujourd'hui ? Qu'à cela ne tienne ! Vous faites bien ce que vous voulez. Plus ça va, plus je me demande si l'épidémie d'obésité locale n'est pas en grande partie due à cette éducation. Des personnes en surpoids, il y en a en France, en Angleterre, au Mexique, mais les proportions affolantes que prennent certaines silhouettes, du type 200kg à vue d'oeil, sont assez typiquement américaines. Est-ce que cela ne pourrait pas être lié à une difficulté à trouver les limites ?
Pour terminer, prenons les petites tâches du quotidien : la cuisine, le ménage, la lessive, sortir les poubelles, promener le chien, etc. Eh bien pour chacune de ces activités, il y a moyen de sous-traiter de façon permanente et peu chère. Je ne plaisante pas : dans mon immeuble, il y a une taxe spéciale sur les loyers pour le ramassage de poubelles. Devant notre porte. Pour les déposer 50m plus loin. Il y a également un service de nettoyage à sec épatant : on met nos fringues sales dans un petit casier façon piscine, et 48H plus tard, il réapparaît propre. Evidemment, la boutique de nettoyage à sec est à 500m à pied. Je passe sur les services de livraison d'ingrédients mesurés au mililitre près pour cuisiner de bons petits plats - eux sont bien plus chers.
Bref, vous voyez, ce qui peut nous sembler sain et agréable, ou du moins facile en France est ici une corvée inutile. A l'inverse, l'implication dans le travail (et l'école, et le bénévolat) relève presque du sacerdoce.


mardi, mars 21, 2017

Carême texan

La période du Carême est l'occasion, pour les Catholiques* texans, de se livrer à toutes sortes de traditions qu'on voit rarement en France : se tracer une croix à la cendre sur le front (au début, on a très fort envie de leur dire « hé, t'as un truc là », puis ça passe), manger végétalien pendant quarante jours, et harceler les femmes qui cherchent à avorter.

Qu'on se comprenne bien : je conçois, bien qu'avec difficulté, qu'on puisse être contre l'avortement et qu'on veuille le faire savoir. Qu'il existe des cellules de crise dans les églises et même des associations promouvant ce discours pour les femmes désirant les entendre, ça me paraît normal, et même plutôt démocratique. En revanche, qu'on passe ses samedi matins à intimider des individus adultes exerçant un droit reconnu par la Cour suprême à de multiples reprises, et pas plus tard qu'en juin 2016, ça me dépasse totalement. Tant de cruauté, au moment où ces femmes ont à prendre une des plus difficiles décisions qui soient, je ne comprends pas.

Ce samedi, j'ai fait du bénévolat à la clinique des femmes. J'y suis habituée aux gens qui prient sur le trottoir, à ceux qui marmonnent « don't do it, let's talk about adoption » et à ceux qui brandissent des pancartes à la fois ignobles et mensongères. Hier, avec la campagne des « 40 jours pour la vie », on est passés à un tout autre niveau. Mégaphone, micros, prospectus lancés à l'intérieur des voitures qui avaient omis de refermer leur fenêtre, poursuite en courant d'une conductrice qui tentait de contourner le cirque pro-life en faisant un détour... Certaines femmes tremblaient de tous leurs membres en arrivant à la clinique. On a dû en faire passer plusieurs par l'arrière, et monter la musique pour essayer de couvrir les « Dieu vous regarde » hurlés par les manifestants remontés à bloc.

Une de nos blagues récurrentes, quand l'un d'entre eux se montre particulièrement agressif, est « just like Jesus would have done », « exactement comme Jésus l'aurait fait ». En vérité, ces gens sont proprement flippants. Pour eux, les lois humaines ne comptent pas. Seul ce qui vous gagne le royaume des Cieux est important. Pour la mouvance Abolishabortion par exemple (non je ne mets pas de lien, Googlez-les si vous avez le cœur bien accroché), toute vie est sacrée, y compris celle des fœtus lourdement handicapés qui souffriront toute leur courte vie. En découle que l'avortement est « un meurtre », et la clinique « un centre de sacrifices d'enfants ». The Army of God, elle, considère que l'assassinat est justifiable dans certains cas, comme envers les personnels médicaux accomplissant des avortements. Pour l'amour de son prochain comme soi-même, on repassera. 

C'est ainsi que 11 personnes (médecins, infirmières, bénévoles, patients) ont été tuées par des extrémistes depuis 1993, que plusieurs bombes placées dans les cliniques, incendies ou actes de vandalisme sont enregistrés chaque année (https://prochoice.org/education-and-advocacy/violence/violence-statistics-and-history/). Ce qui est intéressant, c'est que presque tous les criminels arrêtés sont des hommes. Plusieurs d'entre eux semblent avoir une méconnaissance totale du processus d'avortement, voire du corps féminin, et parlent de « corps de bébés démembrés » par l'avortement.


Les mouvements chrétiens fondamentalistes texans inspirent également des projets de loi admirables, comme celui forçant les femmes faisant des fausses couches à enterrer l'embryon (heureusement rejeté en janvier) ou celui permettant aux médecins de taire les complications médicales d'un fœtus aux parents pour empêcher l'IVG thérapeutique (SB 25, en cours d'examen). Beaucoup d'entre eux, qu'ils soient Catholiques ou Protestants, promeuvent le homeschooling, ou école à la maison, pour fuir l'école publique athée, jugée trop libérale. Ils ont, en Betsy deVos, l'actuelle secrétaire à l'Education, un soutien de poids. 

Lors de nos accompagnements du samedi matin, notre politique est de ne pas interagir avec les pro-life. Il nous en coûte grave, mais l'idée est de créer un environnement "safe" pour que les femmes aient moins peur d'entrer dans la clinique, pas d'avoir des conversations qui dégénèrent avec des manifestants surexcités. C'est là que me revient ce qu'écrivait Voltaire, à l'article "fanatisme" de son Dictionnaire philosophique« Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant? » Indeed.

*Les Luthériens le font aussi, mais ne jeûnent pas nécessairement. Il s'agit avant tout de prêcher et de méditer sur sa foi pendant ces 40 jours.  

dimanche, mars 05, 2017

Ma visite médicale

Il arrive un jour où, malgré les innombrables pilules disponibles sans ordonnance en supermarché, on a besoin de voir un médecin. Et aux Etats-Unis, la charge émotionnelle de cette simple action, voir un docteur, est énorme. D'abord parce que ça coûte cher, et que cet univers est impénétrable. Impossible de savoir à l'avance ce que vous paierez sans consulter un conseiller en assurance. Ensuite parce qu'on a beau être estampillée « bilingue » sur les diplômes universitaires, le langage scientifique, c'est autre chose. Confrontée à l'autorité en blouse blanche, on perd ses moyens, on a un besoin paranoïaque de comprendre le sens de la moindre virgule, bref on n'est pas dans son état normal, et on flippe. On est vulnérable, ramené à un vague sentiment infantilisant par ces personnels qui ne vous expliquent rien et vous manipulent à leur gré.

J'exagère ? Essayons un instant le coup de l'empathie : vous êtes moi, cher lecteur. Vous ressentez une grosse fatigue générale, vous commencez à perdre vos cheveux, vous savez que c'est sans doute dû au stress de ce nouveau boulot mais comme vous êtes végétarienne, vous avez tout le temps peur de manquer de fer et de vous faire une petite anémie. Au bout de deux mois, vous décidez de consulter. Vous choisissez la clinique au hasard, parce qu'elle n'est pas loin de l'école et qu'on peut vous prendre sous deux jours. Avant d'inscrire votre nom au registre des rendez-vous, on vérifie tout de même quel est votre numéro d'assurée et si vous serez bien couverte pour la consultation.

Vous arrivez à la clinique. Vous remplissez un premier formulaire où on vous demande d'identifier votre statut marital, votre employeur, votre « race » et votre religion. Vous remplissez les deux premières catégories, et demandez à la secrétaire pourquoi elle a besoin du reste. Elle vous répond que vous pouvez laisser tout ça en blanc, ce que vous faites.

Une première personne vous reçoit, elle semble être infirmière, et conduit un interrogatoire sur vos antécédents personnels et familiaux. Ok, pourquoi pas, le docteur est sûrement occupé à des besognes qui conviennent mieux à ses hauts diplômes, rationalisons le processus, pourquoi pas. Une deuxième personne vient me voir. Il vous paraît logique de déduire que c'est le médecin. Hé non, vous expliquera plus tard votre époux préféré, c'est simplement un infirmier de rang supérieur, qui ira ensuite faire valider son diagnostic par le médecin en charge. Il vous pose des questions plus approfondies, et note plein de choses sur un formulaire. Il emploie des tas d'acronymes, BBC, EKG, que vous devez lui faire expliquer, bien que vous lui ayez dit dès le début que c'était votre première consultation aux USA. A chaque fois que vous ouvrez la bouche, il semble vous rajouter un examen supplémentaire : test sanguin, test d'urine, test de grossesse, on sait jamais, et électro-cardiogramme. Electro-cardiogramme ??? Oui, si vous avez quelquefois des palpitations, ça peut être une sage précaution. Vous découvrirez plus tard que cet examen coûteux est couvert par l'assurance dans le cadre d'une première visite- « checkup ». Pur hasard, certainement.

L'homme s'en va, en vous disant d'attendre quelques minutes avant les examens, qu'ils font sur place. Deux femmes arrivent, vous reconnaissez l'infirmière du début, elles vous demandent de vous déshabiller, de revêtir une blouse de papier et d'enlever vos bijoux. Puis elles repartent sans rien dire. Vous êtes à demi-nue dans une salle de clinique. Vous attendez, mais vous ne savez pas trop quoi. Vous vous préparez mentalement à traverser le couloir dans cette tenue. Vous commencez à vous demander quel est le problème avec votre cœur. Vous faites des calculs totalement à l'aveugle, Combien ça pourra me coûter tout ça, 50$ ? 300$ ? Les infirmières reviennent avec des électrodes. Point de couloir à traverser, l'examen se fera dans la même salle, la blouse est juste pour que votre poitrine ne soit pas dénudée devant deux infirmières et dans une pièce fermée à clef. Ca vous paraît un chouïa excessif, d'autant plus qu'une des deux infirmières ne cesse de recouvrir votre mamelon droit qui se découvre en permanence. Elles posent les électrodes, les enlèvent sans rien vous dire. Vous demandez quand même, Tout va bien ? Elles vous disent que seul le docteur peut vous répondre. Vous flippez quand même un brin. Une femme assez âgée passe la tête par la porte, se présente, Je suis le chef de cette clinique, vous allez bien ? On va regarder vos résultats, ne bougez pas. Vous ne comprenez pas bien pourquoi vous devez voir quatre personnes pour une petite consultation de rien du tout. Juste un peu de fatigue. Etes-vous sur le point de faire un infarctus et vous l'ignoriez ? Vous devez vous forcer un peu pour rester calme.

Vous passez encore par la case prise de sang, flacon d'urine, et vous revoyez l'infirmier en chef. Il vous informe qu'il n'y a rien d'urgent, mais que vous devriez voir un cardiologue quand vous aurez le temps, car un battement de votre cœur survient un peu trop tôt. Vous cherchez à comprendre : trop rapides, mes battements ? Non, trop tôt. Vous en parlerez avec le spécialiste. Au revoir, bonne journée ! Vous êtes un peu sonnée, mais vous gardez surtout en tête le « rien d'urgent ». Ce n'est pas grave, c'est tout ce qui compte.

Arrivée à la caisse, vous serrez les fesses en attendant la facture : 25 dollars. Soit le prix de la consultation. Tous les frais de labo sont compris là-dedans, alors ? Vous ressortez plutôt enjouée, finalement ça ne s'est pas si mal passé.

Trois jours plus tard, toujours pas de résultats. Vous appelez la clinique, on vous dit qu'on vous téléphonera quand ce sera prêt. Quatre jours plus tard, vous recevez un appel d'une femme inconnue de vous qui vérifie vote identité et vous dit, « Tout va bien ». Elle s'apprête à raccrocher quand vous dites, Attendez, il y avait quand même un test de grossesse, ça signifie quoi tout va bien dans ce contexte ? Elle relit les résultats : vous n'êtes pas enceinte. Ouf, tant mieux, avec les trois apéros que vous aviez pris le week-end dernier, vous préférez. Mais c'est quand même une drôle de façon de vous l'annoncer.

Vous en discuterez plus tard avec un ami mexicain plus habitué que vous à ce système de santé. Lui aussi a le vif sentiment qu'on essaie de tirer le maximum du forfait d'assurance à chaque consultation, mais vous fait aussi voir que la furie procédurière des Américains a du bon : pour éviter d'être traînés en justice à tout bout de champ, les médecins font souvent des tests exhaustifs à la moindre suspicion. Du coup, on est bien surveillés. Ca relativise un peu, mais vous l'avez quand même super mauvaise quand vous recevez une facture de 134$ du labo, deux semaines après.


Vous ne vouliez pas donner dans le cliché et terminer ce post par un bon vieux « Qu'est-ce qu'on est bien en France, avec la sécu », mais en fait si. Vous repensez au « copay », ce système qui vous fait payer 25$ non remboursés à chaque visite médicale, aux médicaments largement dispo en pharmacie et donc totalement à votre charge, à la franchise de 1500$ par an de votre assurance, qui est pourtant l'une des meilleures ici, à votre collègue qui va subir une opération cardiaque dans trois semaines et n'aura droit qu'à 6H d'hospitalisation post-op avant qu'on lui réclame son lit, et la conclusion vous paraît inévitable. Vous vous dites même que ce manque absolu de solidarité institutionnalisée et d'égalité face aux soins pourrait bien être un motif déterminant dans votre désir de rentrer en Europe. Ca, et le racisme grandissant, les droits des femmes bafoués, les libertés civiles rognées. Mais ces trois choses-là, je ne suis pas bien sûre qu'elles n'arrivent pas en France bientôt.

lundi, février 06, 2017

Super bowl, super remontée

Autre week-end, autre manif. Aujourd'hui, avec le Super Bowl qui se déroule dans notre ville, nous avions une occasion exceptionnelle d'attirer l'attention des médias. Tout le monde en était bien conscient, d'ailleurs, car il y avait une brochette de témoins de Jéhovah à tous les coins de rue. Quand j'en ai parlé aux membres de mon association féministe, elles m'ont gentiment prêté un grand panneau "Keep abortion legal", à leur retourner bien sûr parce que ça coûte cher ces trucs-là. Revêtue de mon tee-shirt de la Marche des femmes à Austin, j'étais toute fière de venir aussi bien équipée. En France, je me suis toujours contentée d'autocollants pourraves et de panneau fabriqués main sur des feuilles Canson.
Je suis arrivée vingt-cinq minutes en retard. J'ai failli louper la manif. C'est qu'ici, on commence à l'heure : quand c'est marqué 13H, on a un petit speech pour nous indiquer comment ça va se passer, puis on se met en marche à 13H03. Je rappelle qu'au Texas, à moins d'un permis délivré en bonne et due forme, ce qui n'arrive pas si souvent qu'en France, on n'a pas le droit de marcher dans la rue. Nous étions donc plusieurs centaines, à la queue leu leu sur le trottoir, entourés d'un côté par des murs et de l'autre par la police à cheval. Ce qui est assez ironique, si l'on considère que l'un de nos chants était "Whose street is this ?"/ "This is our street". Le mot d'ordre était assez vaste : Black Lives Matter, No Dakota Access Pipeline, les réfugiés sont les bienvenus, pour le droits des femmes à disposer de leur corps... Tous les furieux de la politique trumpiste pouvaient trouver leur place.

Mon panneau a d'abord eu pas mal de succès, notamment de la part de vieilles militantes me félicitant pour ce slogan pro-choix. L'ambiance était bon enfant, comme les deux autres manifs auxquelles j'ai participé ici. Hommes, femmes, blancs surtout, mais pas que, des immigrés plus ou moins récents et des femmes voilées : ça faisait chaud au coeur. Des voitures nous klaxonnaient et nous applaudissaient. Un type est passé au volant de sa voiture, mégaphone à la main, pour nous dire que Trump était élu, qu'il fallait bien qu'on s'y fasse, et qu'on brûlerait tous en Enfer. 

A l'arrivée, près du stade, d'autres Chrétiens prosélytes nous attendaient. Des hommes, la cinquantaine au moins, en majorité. Ils souriaient tous d'une façon un peu étrange en nous assénant qu'on n'irait pas au Paradis, comme si un responsable de com' leur avait dit qu'il fallait pas en plus paraître flippants, avec un message pareil. C'est donc avec un sourire jusqu'aux oreilles qu'un type a pris les Black Lives Matter à parti, en montrant mon panneau : "vous dites que les vies noires sont importantes, mais vous voyez, des pro-avortement se cachent parmi vous !" Sous-entendu : je favorise les meurtres de bébés et y'a sûrement plein de petits Noirs parmi eux. J'éclate de rire, parce que si je chercher à me cacher avec mon gros panneau bleu brandi bien haut, je suis vraiment pas douée. C'est alors qu'une nana, jeune et blanche, a hurlé "I love abortions! Yeah !" Le gars a continué : "Vous voulez savoir à quoi ressemble le Paradis ? Des rues en or, des rues de perle..." Ai-je précisé qu'au Texas, la lecture littérale de la Bible est majoritaire et qu'il vaut mieux ne pas trop essayer d'expliquer qu'Adam et Eve sont des allégories ? D'autres slogans ont alors fusé, parmi lesquels "Jésus était un réfugié". Le vieux Chrétien au sourire figé a alors été noyé dans un concert de voix progressistes, mais n'a pas battu en retraite. Il est resté là, silencieux, avec son panneau "Comment voulez-vous aller au Paradis si vous n'obéissez pas aux commandements de Jésus ?" 

Nous avons fini par rebrousser chemin, panneau baissé, mais bien lisible. Trois personnes engageront un dialogue avec un moi sur le chemin : un mec blanc qui sifflera "pro-life pro-life" sur mon passage. L'idée m'est venue trop tard, foutu cerveau lent, mais j'aurais adoré lui répondre "Excusez-moi, vous avez un utérus ?" Trois nanas noires lèveront le pouce en signe d'approbation à mon passage, et un autre mec noir me balancera quelque chose d'inaudible au milieu des haut-parleurs crachant de l'hymne sportif. Ca n'avait pas l'air d'être très pro-choix.

Je ne sais pas si ça a toujours été comme ça, si à chaque manif, il y a contre-manif, comme les samedis à la clinique des femmes. Ce qui est certain, c'est que réconcilier un pays si profondément divisé politiquement et humainement, ça va être un sacré boulot. Et nous ne sommes qu'au début de ce mandat présidentiel.

mercredi, janvier 25, 2017

Ajustement culturel : la manifestation au Texas.

Dès l'élection de Trump, matin amer, j'ai su que je voulais absolument participer à la première action de protestation. Il ne s'agirait pas d'une contestation du résultat d'une élection démocratique, bien que le processus en soit daté et sujet à caution ; il s'agirait d'un rassemblement de gens de bonne volonté, démocrates, abstentionnistes, républicains modérés, écologistes ou libertariens, qui dirait en substance au président : on vous regarde. On espère que votre rhétorique misogyne, xénophobe et anti-intellectuelle, c'était de l'attrape-gogo d'avant scrutin. Et si ça ne l'est pas, que ce soit bien clair, on ne se laissera pas faire.

C'est la Women's March qui m'a fourni cette première belle occasion. Le lendemain de l'inauguration, un mouvement invitait à défiler pour le libre droit à disposer de son corps, pour le respect des cultures et religions différentes et pour le respect de l'environnement. Il n'y avait plus qu'à se rendre à la capitale de l'Etat, Austin, pour faire plus de bruit.

Oui mais. Au Texas, ancien Etat esclavagiste, la tradition de manifestation est quand même minimale, pour ne pas dire inexistante. Ici comme ailleurs, le premier amendement de la Constitution garantit la liberté de parole et de rassemblement. Il faut juste demander un permis de manifester, qui peut être refusé sans justification, ne pas trop gêner la circulation, et même faire attention à ce que les pancartes ne soient pas trop offensantes, recommande le site internet de l'Etat. Mais dans la culture locale, on manifeste peu. En général, on trouve quelques dizaines de « protesters » regroupés dans un parc (mieux toléré pour l'expression démocratique que la rue) et c'est tout. Il faut dire qu'il n'y a quasiment pas de syndicats ici, et que le fonctionnement autochtone, c'est plutôt « Ce job te plaît pas ? Quitte-le et prends-un un autre » que la plainte aux Ressources Humaines. Certains de mes collègues avaient même un peu peur de se rendre à la manif, et d'y être reconnus.

A l'arrivée à Austin, des grappes et des grappes de gens se massaient vers le Capitol Building. Certains portant des bonnets roses à oreilles de chat (pussy power!), d'autres des tee-shirts politisés, et d'autres encore une infinité de pancartes créatives, à plumes, à paillettes, ou simplement à gros traits de marqueur exprimant rageusement une indignation légitime. J'avais prévu de retrouver des connaissances sur le parvis du Capitole ; la foule était si nombreuse et si dense que cela fut complètement impossible. Les organisateurs étaient visiblement dépassés : quelques bénévoles ont tenté une chaîne humaine pour réguler et diriger le trafic, ce qui a étonnamment bien marché. Je me suis dit qu'ailleurs, sans la civilité légendaire des Américains, ça aurait sans doute tourné à l'étouffade. 

Le long du parcours, je verrai des slogans progressistes affichés sur le toit des musées, des cafés donnant tous leurs profits du jour au Planning Familial, des pancartes en espagnol et en arabe, et pas mal d'hommes à nos côtés. Pour une Française habituée à ce que les fins de manifs comportent CRS voire lacrymo, c'était incroyablement paisible. Quand nous sommes passés devant la maison du gouverneur, Greg Abbott, une femme est même sortie de la foule pour aller serrer la main du policier qui menait la garde. On a tourné en rond autour du Capitole, et puis c'était fini. Pas de grands faits héroïques, juste le nécessaire plaisir de se savoir si nombreux, et si déterminés. Ca faisait du bien d'être là. Physiquement.

Alors, je ne sais pas si les progressistes sont en train de redécouvrir les vertus du militantisme de terrain et de lâcher les pétitions en ligne, comme ça se murmure. Je ne sais pas si cette belle vague de solidarité se maintiendra longtemps, assez pour que le Congrès change de bord dans deux ans, si les marcheurs d'aujourd'hui seront vraiment les activistes de demain, ni si le mouvement saura garder à la fois sa chouette radicalité et son appel à de larges populations. Mais bordel, qu'est-ce que j'ai envie d'en être.