lundi, octobre 22, 2007

Guy Môquet toi-même

"Je ne suis pas prof d'histoire-géo, ce n'est pas à moi qu'il revient de vous lire la lettre d'un résistant". Voilà de quelle manière, un peu honteuse, j'ai botté en touche face aux questions de mes élèves ce matin. Il est vrai que je n'ai pas imaginé une seconde qu'on me demanderait ça à moi, et qu'il seraient si impatients de connaître ce fameux texte dont tout le monde parlait. J'aurais été maligne, j'aurais prévu un refus argumenté.
Tout d'abord, je suis assez mal à l'aise quand le politique tente de réécrire l'histoire. De rôle positif de la colonisation en militant communiste subitement devenu pur symbole consensuel, y'a de quoi se méfier. Les programmes scolaires sont habituellement élaborés par un comité de spécialistes qui savent hiérarchiser les savoirs entre eux et dégager des événements d'ordre symbolique. En français, il nous contraignent à enseigner un objet d'étude donné, comme "l'autobiographie" ou "la poésie". Jamais au grand jamais ne nous impose-t-on un auteur censé être plus représentatif, ou de plus grande valeur, ou suscitant une émotion plus propice à former un citoyen conforme.
Justement, ça aussi c'est gênant. Mes collègues historiens tiennent beaucoup, et ils ont raison, à la démarche rationnelle, documentée, minutieuse qui est la leur. Si on peut reconnaître une valeur exemplaire à l'exécution du jeune Guy Môquet, sa lettre ne nous apprend rien : elle se contente de faire pleurer les présidents de la République, et perdre les rugbymen. Or la démarche compassionnelle est aux antipodes exactes de la démarche réflexive et analytique. Exalter la pitié, c'est séduire ou révolter, mais ce n'est pas développer l'esprit critique.
C'est d'ailleurs ça que j'enseigne, moi : reconnaître les divers types d'argumentation, et les mécanismes auxquels ils font appel. L'émotion, la raison, le libre-arbitre du lecteur à qui l'on présente deux avis possibles, la perception visuelle lorsqu'il s'agit de publicité, et le type de manipulation induite sur le destinataire.
...un peu comme dans les discours politiques simplistes, quoi.

vendredi, septembre 28, 2007

La quinzième dimension, au moins

Je suis larguée. J'avoue. Ma classe de première techno - à laquelle je ferai désormais référence sous le vocable "ma classe pourrie" - est remplie d'individus obéissant à des comportements qui me sont complètements inconnus. Chaque matin, je plonge dans la quinzième dimension. Au moins.
Le vendredi, je vois mes terreurs en demi-groupes. Ca doit normalement mieux se passer. Sauf que. La première fournée décide que le français, elle aime pas ça pis elle est nulle, d'abord. Donc elle n'en foutra pas une, je suis prévenue. Pas décidée à vivre une heure à couteaux tirés, je les laisse s'exprimer. Quels sont les problèmes ? "Vous donnez trop de travail". J'apprends que certains ont des jobs le samedi matin, d'autres quatre petits frères à border le soir. "Vous êtes trop stricte." "Vous avez des petits chouchous". Ah tiens. Moi qui cherche à les traiter de la manière la plus égalitaire qui soit, j'ai négligé la part de l'affectif chez mes petits caïds.
Le deuxième groupe arrive tout énervé, bruyant, je mets cinq minutes à les faire asseoir. Des regards agressifs, des mots murmurés à voix basse. Cours sur la prise de notes. Je dicte un énoncé, à eux de le réduire au maximum. En manière de défi, je dis "pas plus de quinze mots." Et en trois minutes, les voilà tous à se tortiller sur leur chaise pour que je les interroge. "Moi, moi, madame !" J'ai été brutalement propulsée en classe de sixième, une faille dans l'espace-temps, je sais pas. D'ailleurs Jonathan, collé pour travail non fait, quittera la classe en me disant : "Eh bien ça y est madame, je les ferai plus jamais vos devoirs." Na.
J'en ressors plus déboussolée que jamais. En voyant un grand escogriffe tenter d'arracher un téléphone portable à une jeune femme devant moi, en plein jour, juste à la sortie du lycée, je me dis que décidément, je ne sais rien du monde dans lequel ils vivent. Pas plus matériellement que psychologiquement.
Mais tâcher de le comprendre est passionnant. Je tiendrai bon !

vendredi, août 10, 2007

J'aurais pas pu être juge

C'est un endroit où le commun des mortels ne mettra jamais les pieds, s'il a un tant soit peu de chance et une bonne étoile à remercier.
Un endroit immense et effrayant. Un endroit libre pourtant.
C'est un endroit où pénètre en revanche toute la misère du monde, en jogging, en dreadlocks ou tee-shirt de hard-rock : la 23e chambre correctionnelle de Paris.
Toute la misère de la terre, yep. Y'en a pas beaucoup, dans le lot, à être français. La plupart ont des noms d'emprunt, des identités mulitples, voire la nationalité qui change au fur et à mesure des interpellations. Vieux truc de clandestin : s'ils savent pas d'où vous êtes, ils peuvent pas vous ramener en charter.
Cet après-midi, il n'y a que des hommes à comparaître sous les ors de la République. Sans papiers, sans famille et sans avenir, parfois sans grande jugeote, faut bien l'avouer. Les avocats semblent bien jeunes et hésitants : commis d'office ? Après tout, c'est le mois d'août, la plupart des affaires sont des comparutions immédiates, je suppose qu'il n'y a là rien d'étonnant.
Le premier prévenu est pakistanais. Contrôlé alors qu'il conduisait sans permis français, et sans titre de séjour, non plus. C'est pas la première fois : mais il a épousé une Française et est père de deux petits Français, il n'a guère envie de rentrer en Asie. De nouvelles démarches devraient lui permettre de vivre ici régulièrement. Il dit que personne ne lui avait expliqué.
Suivent deux jeunes hommes soupçonnés d'avoir volé des objets à des particuliers. Les deux demandent à être jugés tout de suite : impossible, les victimes n'ont pas pu être prévenues, et elles ont des droits inaliénables. L'un, déjà connu des services judiciaires et sans-papiers, sera placé en détention en attendant. L'autre, jeune papa vivant en foyer d'insertion, demande à ce qu'on le laisse repartir. Mais on n'arrive pas à se procurer son casier judiciaire, alors même qu'on a sa pièce d'identité. Bizarre... L'un des avocats s'énerve : "A quoi sert de leur demander s'ils souhaitent être jugés immédiatement ? Ce n'est presque jamais faisable ! Et pourquoi ? Les services de Mme le Procureur ont appelé les victimes. C'était occupé, disent-ils ! On peut s'étonner d'un tel manque de diligence, qui conduira ces jeunes hommes à dormir en prison !" Point taken.
Il y a aura ensuite un jeune Black athlétique déjà emprisonné pour une autre affaire, pris à la sortie du parloir avec de la drogue qu'il s'est fait remettre par son frère handicapé mental. Pas pour son usage propre, jure-t-il. Et il n'avait pas l'intention de mêler son frère à tout ça. La procureure semble dubitative, le cuisine. La prof de français en moi s'agace : pourquoi la "portion de cannabis" de la juge se transforme-t-elle en "barrette de shit" quand on s'adresse aux prévenus ? Pourquoi le ton sec bêtifiant pour eux, et le vocabulaire châtié entre gens du même monde ? La mère et la soeur se serrent sur les bancs, inquiètes. Puis vient un Egyptien sans-papiers ayant outragé un agent RATP. Un gitan voleur compulsif de perceuse sur chantier. On finit par se dire que c'est décidément triste, la pauvreté. Toutes les histoires se ressemblent.

Mes yeux fatigués de lucky white girl se réveillent quand je vois apparaître un certain Tom. Blanc, soigné, dûment identifié, c'est sûr qu'il détonne. Tom a des problèmes d'alcool. Il a suivi, volontairement, une cure de désintox il y a quelques mois. Mais la semaine dernière, il a pété un plomb et bu à l'excès, et cassé la gueule de trois passagers du métro dans la foulée. "J'avais perdu ma grand-mère, et c'est quelque chose que j'ai énormément de mal à accepter", dit-il pour s'expliquer. Putain, le coup de la brute au grand coeur. Je me sens idiotement fondre. Pourtant je sais que ça n'a rien de glamour, un exploseur d'arcade sourcillière. Mais que voulez-vous... Aye, j'aurais pas pu être juge.

Je m'esquive avant la fin, n'ayant pas de verdict à attendre. Je me dis que quelque part, ces gens-là et moi faisons un peu le même métier : donner une seconde chance, ou punir, en misant sur des lendemains plus avisés. Même ingratitude de la tâche, même droiture conférée par la position et, j'ose l'espérer, même foi en la perfectibilité humaine.

mercredi, mai 09, 2007

La France qui se couche tard

J+3. La gueule de bois de lundi matin s'est doucement estompée.
On avait beau s'en douter depuis quelques jours, ça fait toujours mal.
A se demander si, finalement, laisser le peuple décider par lui-même se justifie bien. On regarde avec suspicion les gens dans le métro : vingt-six passagers. Là-dessus, y'en a environ douze qui ont voté Sarko. Ces douze-là se foutent de ses liens privilégiés avec les médias et les milieux d'affaires (Mais non Silvio, c'est pas de toi que je cause), de ses rafles de sans-papiers à la sortie d'écoles ou lors de distribution de nourriture, de sa volonté de dépister la délinquance, forcément génétique, dès la maternelle. Voire, y'en a que ça rassure ou réjouit. Ca fait pas envie.
J'ai terminé cette campagne beaucoup plus enthousiaste que je ne l'avais commencée. J'ai même voté par conviction, et pas par pure loyauté ou anti-sarkozysme primaire. D'abord, c'est vrai, Ségolène, son goût prononcé pour la notion de famille, les relents d'ordre moral de ses discours, me déplaisaient franchement. Je trouvais son tour de France des discussions un brin démago, et son absence de programme me gênait sérieusement. Et puis insensiblement, depuis février, elle m'a convaincue. Parce qu'elle prônait une vraie politique de gauche, que ses discours ne manquaient pas de panache. Et parce qu'en tant que femme, elle s'en est tant pris dans la poire que, forcément, elle m'est devenue sympathique.
Je ne reviendrai pas sur les "Qui va garder les enfants ?" et leurs variations provenant de son propre camp. Leur sombre crétinerie parle d'elle-même. Mais l'étiquette d'"incompétente" qui lui a collé au tailleur pendant toute la campagne me paraît beaucoup plus choquante. Parce qu'elle n'était souvent assortie d'aucun argument concret, parce que personne ne croit sérieusement qu'un président sache tout sur tout et gouverne sans conseillers techniques, et parce que l'on n'a jamais acollé cet adjectif à son adversaire, qui pourtant nous aura largement abreuvé en inepties.
Alors, macho, la France ? On craignait que DSK ne soit pas élu parce qu'il est juif. On a aussi expliqué la défaite de Jospin en 2002 par son protestantisme. Aucun Noir ou Maghrébin ne s'est encore risqué à briguer la magistrature suprême, mais il y a fort à parier qu'il serait bien reçu. Ah, cette fameuse rencontre entre un homme et un peuple... Homme oui, pas femme, et Blanc, catholique, médiatique.
Y'a juste des jours où on a envie de beugler : "Pays de meeeeeerde !"

mercredi, mai 02, 2007

Down there in Africa

Ce message sera dédié à ma Griet, que j'ai salement négligée ces dernières semaines, et dont je viens de recevoir une lettre qui m'a touchée jusqu'aux larmes. Bon, je suis du genre émotif, ce n'est pas un secret, mais c'était vraiment de jolis mots. A mon tour de t'en envoyer quelques-uns.
Je voudrais te raconter Mombasa, ma tranche d'Afrique en solo. Mon arrivée éberluée dans les 30° de l'aéroport, comment je me suis fait gentiment arnaquer par le chauffeur de taxi qui m'a emmenée en ville, et la chambre miteuse dans laquelle j'ai dormi. D'abord, y'avait aucun touriste. Ensuite, les moustiquaires sur les fenêtres fermaient mal, et les nombreuses coupures d'électricité empêchaient le ventilateur de fonctionner. Plus gênant, la propreté du lit était douteuse. Mais on peut pas dire que j'aie passé des nuits dans des endroits beaucoup plus pourris en Tunisie ou à Prague. Et puis, what the hell, personne n'est jamais mort de contact avec des draps sales.
Je voudrais aussi te dire la vieille ville, ses encombrements et ses senteurs, la pauvreté qui affleure, la distance à laquelle on repère les touristes et les femmes seules. S'il est assez simple de comprendre ce que veulent ces gamins à la main tendue, pour les hommes en revanche c'est plus difficile : en veulent-ils à mon fric, ma nationalité (trois propositions de mariage en trois jours) ou plus prosaïquement à mes fesses ? Peut-être bien les trois, d'ailleurs.
Je voudrais enfin te parler du village de Bombolulu, où vivait John, mon guide du jour. Des volailles et des chèvres qui vivent au milieu des gens, des rigoles d'évacuation sur la terre sèche. Du regard dédaigneux des femmes sur mon passage, de la curiosité des enfants qui me suivaient en chantant "Hi ! How are you ?" à tue-tête. Quand je passe entre les habitations une main se tend même pour toucher mes cheveux raides de Blanche. Avant de partir, je photographie une petite fille en robe de princesse maculée de terre. La gamine me tourne le dos, seule sa tête pivote pour me jeter un coup d'oeil timide. Son expression est incroyable, prise entre la gêne à mon égard et la fierté d'être distinguée parmi ses copines. La photo est ratée, pas assez de lumière, mais cet instantané survivra longtemps dans le fond de ma tête, ça je le sais.
Voilà, ma chère Griet, ce que je ne t'ai que peu écrit dans cette lettre que je te posterai demain, parce que j'étais empêtrée dans d'autres affaires plus futiles. Mais tout au long de mon saut en parachute africain, je savais que tu étais là, quelque part, et ça m'a fait du bien.

mercredi, mars 28, 2007

Emeute, qué emeute ?

"Mesdames et Messieurs, notre train ne marquera pas l'arrêt à gare du Nord pour cause d'émeutes dans les couloirs. Euh...c'est pour votre sécurité, en fait."
Elle cherchait ses mots, la conductrice de la ligne 5. Comment ça, des émeutes en plein Paris ? Elle n'avait sûrement pas signé pour ce genre de mission en entrant à la RATP. Quand le train est passé dans la station, au ralenti et portes jalousement fermées, on a pu apercevoir des rubans rouges barrant les sorties, et quelques usagers fatigués coincés sur les quais. Rien à voir. Circulez.
Ce matin, on en sait un peu plus. Tout est parti d'un "banal" contrôle d'identité, parce qu'un pauvre gars n'avait pas payé son ticket. Un simple sauteur de tourniquet, certes récidiviste. Les témoins évoquent un tabassage en règle de la part de CRS, un soutien musclé de la part de voyageurs, et d'une inévitable perte de contrôle générale.
Je pourrais parler longuement de cette insupportable manière qu'ont les flics de tutoyer et rudoyer, systématiquement. Je pourrais certifier que je n'ai jamais au grand jamais été contrôlée question papiers, dans le RER E qui avait son lot quotidien de vérifications. Pourtant je pourrais très bien être ukrainienne, marocaine ou algérienne. Je pourrais encore rapporter ce sentiment anti-policier de base parmi mes élèves, devenu sentiment anti-Sarko, vaguement inquiétant quand il n'est suivi d'aucune réflexion politique.
Mais à quoi bon identifier des bons et des méchants ? La vérité est que ces pandores agressifs ont peur, et qu'ils croient se protéger en attaquant les premiers. Et c'est aussi que des gamins de Clichy-sous-bois ont assez peur d'un "banal" contrôle policier pour aller risquer leur peau dans un transfo EDF. Dos à dos, mais dans une même incompréhension de l'autre.
Dans les médias, les syndicats de la force armée fustigent ces "jeunes" (terme bien vague, dont on se doute qu'il désigne des gosses plutôt basanés) qui refusent l'état de droit, et la gauche s'en prend à Sarkozy qui a mis des uniformes bleus partout. La population craintive qui crie son ras-le-bol et la minorité agissante qui signe sa colère à coups de voitures brûlées. Des agents armés et une garde-à-vue contre une instit s'opposant à l'arrestation d'un grand-père sans-papiers. La fermeté contre l'éducabilité. On n'en sort pas. Comme si la prévention pouvait fonctionner sans répression, et vice-versa. Et comme si on pouvait faire l'économie de la compréhension de l'autre, de sa pensée et de sa souffrance.
Je ne sais pas bien à quoi ce mouvement est dû, mais cette persistance dans la logique d'affrontement m'effraie. Alors oui, ces projets de police de proximité, de matchs de foot entre flicaille et racaille, ça me paraît une bonne idée. Histoire de comprendre avec son coeur qu'il y a un être humain sous les képis et sous les bandanas.

jeudi, mars 15, 2007

The art of yelling

Mon métier, c'est quand même largement hurler sur des mômes. Je vous jure que j'aimerais mieux pas, mais il est des constats aussi fatals que décourageants. On se croit grand passeur de sens, on n'est qu'égosilleur à tous vents.

Personne, je pense, n'entre dans la carrière d'enseignant avec l'envie de beugler sur tout un tas d'élèves réfractaires. On s'imagine tous prêcher devant un auditoire fasciné, professeur préféré des gamins, capitaine ô mon capitaine. Que je te manierai l'ado différemment, que je te refuse de jouer les petits caporals fascistes.
Tu parles.

D'abord, la douceur et la compréhension, ça ne nous vaut rien. Ou alors si, quelques tentatives d'arnaque style "j'ai pas pu faire mes devoirs, mon chien a avalé tous les crayons de la maison". Ensuite, le coup de gueule inopiné, ça marche. C'est assez peu glorieux pour la nature humaine, mais c'est vrai : on a tendance à se faire tout petit devant le hurleur. Et à ce jeu-là, je crains pas grand-monde.

Le truc, c'est qu'on n'a pas tout le temps l'envie de piquer une crise de nerfs. C'est fatigant, ça fait devenir tout rouge. En plus, il paraît que ça nous enlève des heures de vie. Alors j'ai trouvé l'astuce : comme dans mes cours de théâtre, je fais appel au souvenir d'une colère. Je joue la prof excédée. Hausser le ton, augmenter le débit, regarder droit dans les yeux, faire quelques moulinets dans les airs. Et les gamins s'y trompent, grands nigauds qu'ils sont.

Le seul détail que je n'ai pas réussi à régler, c'est que je fais pareil dans ma vie privée. J'ai dû faire sauter une inhibition, je sais pas. Mais j'ai remarqué que mes copains faisaient la tronche quand je leur disais : "Oh la, Machin, tu te tais et tu m'écoutes !"
Comme quoi, sont bien délicats.

mercredi, mars 07, 2007

Ah, ils m'avaient manqué

10h48 : "Madame, vous avez dit qu'on faisait les questions 3 et 10 ou bien les questions de 3 à 10 ?"
13h 36 : "Madame, comment ça s'appelle déjà, les paradis là, dans lesquels ils vont les poètes qui fument de l'opium?"
14h16 : dans un exercice où il s'agissait d'assortir des noms comme "liste, sentence, excuses" à des verbes comme "dresser, prononcer, présenter", Grégory a réussi à me pondre l'association "jouir ensemble". Sic, et avec la plus jolie candeur qui soit.
Parfois je me demande ce qu'ils racontent à leurs parents de leurs journées de cours.

dimanche, février 25, 2007

Si on filmait l'histoire de ma vie, ce serait un road-movie

Il faut absolument voyager seul, au moins une fois dans sa vie. Il faut absolument savoir ce que c'est que la rencontre brute avec un pays. Seul, on n'emmène pas sa culture et ses codes avec soi. Pas autant. Pas pareil. Impossible de renverser la journée difficile par une blague familière, de se rappeler des souvenirs communs pour se rassurer. On est nu face à la culture étrangère, vulnérable et perméable.
Seul, on doit parler la langue de l'autre. Ca force l'humilité. Du balai le français châtié qui souligne sa classe sociale de jeune fille bien élevée : en italien, arabe ou en slovaque, on n'est jamais qu'une intruse qui s'efforce de balbutier un pauvre "merci et aurevoir" à un individu goguenard. Il est parfois bon de remettre les choses à leur place.
Seul aussi, on favorise le contact. Avec d'autres voyageurs d'abord, isolés ou pas, contents de trouver quelqu'un avec qui converser le soir dans la chambrée. On trouve de tout dans les auberges de jeunesse, de l'étudiante effectuant son "gap year" autour du monde au vrai backpacker barbu qui n'a pas vu de douche depuis un bail. Pittoresque en tout cas. Ensuite, seul, on n'effarouche pas le local. Ou moins. Et c'est la seule façon de découvrir une contrée : par les yeux de ceux qui la peuplent.
Enfin, seul, on prend la ville de plein fouet. Pas moyen de se cacher derrière quoi que ce soit. Si on se perd, ça sera de notre faute, et il faudra bien se dépêtrer tout seul de ce labyrinthe de ruelles ocres. Si on se fait dépouiller aussi. Mais si on découvre par un hasard un sentier peu battu, un jardin coloré ou un sourire hospitalier, on sera tellement fier de nous qu'on tombera forcément un peu amoureux de cet ailleurs-là.

mercredi, février 14, 2007

I'm such a sucker for a kind word

Il y a les mots qu'on attend et qui ne seront jamais prononcés. Des "Tu es l'écrivain de toute une génération" dans lesquels on n'a pas vraiment placé de grandes espérances. Mais on sait jamais. Des "Je suis fier de toi, ma fille", plus modestes, dont on a appris à faire le deuil. Des "je suis désolé"qui ne passeront jamais la barrière des gorges serrées. Des "je t'aime" pour lesquels on peut consumer sa vie en vain.

Et puis il y a ceux qu'on n'attendait pas, ceux qui tombent du ciel comme un cadeau et vous remettent droit sur vos jambes. Un réconfortant "Je suis certaine que tu es une bonne prof" qui arrive au moment affreux où je doute. Un bienveillant "Repose-toi, mon bout de choux" qui, faute d'orthographe ou pas, me réchauffe le coeur. Un "c'était vraiment très bien" répété par mon prof de théâtre, après une scène qui m'avait donné du fil à retordre. Infimes manifestations qu'on existe bien et que, pour certains du moins, on vaut peut-être quelque chose.

mardi, janvier 30, 2007

Pourquoi j'ai quitté le journalisme

Ca faisait un moment que je n'avais plus croisé de journaliste. Oh que je suis contente d'avoir quitté ce milieu.

Pourtant, il n'est pas désagréable, ce dingo de radio. C'est même plutôt un mec bien, qui a choisi de travailler sur la banlieue avec les gens qui la peuplent et la font vivre. Il est investi dans plusieurs projets pédagogiques avec des gamins du 9-3. Grimace quand on lui sort le mythe de l'objectivité journalistique, y substituant la notion "d'honnêteté" : chacun a un angle, suffit de le présenter clairement pour que l'auditeur y adhère, ou pas. Travaille au jour le jour sur le terrain, au lieu de débarquer en périphérie lorsque ça pète. Professionnellement, c'est très certainement un type rare.

Seulement voilà, il a l'arrogance facile. La réponse à tout planquée dans la besace, prête à être dégainée. Il maîtrise l'art du discours, le noyage de poisson technique et la fausse modestie. Une armure de guerrier, peu d'humour sur soi. Toute la différence entre un Chateaubriand et un Romain Gary.

Je ne lui jette pas la pierre. J'en ai rencontré plein, des comme ça, dans ma courte carrière. Jusqu'à mon copain James, timide débutant il y a cinq ans, responsable de rédac bavard et prétentieux aujourd'hui. C'est un métier qui déforme, qui blinde, rend cynique. Ce masque de combattant est probablement ce qu'on exige d'un bon journaleux. Le mien s'attachait décidément bien mal.

Quand on me demande pourquoi j'ai changé de voie, j'ai pris l'habitude de répondre : "Parce que je me sentais nuisible à la communauté humaine dans laquelle je vivais, à monter les faits divers en épingle, à annoncer des licenciements avant le patron, pour vendre du papier." Et c'est totalement vrai. J'énonce aussi, en vrac, les horaires extensibles à l'infini, la galère quand on n'a pas fait d'école de journalisme, les rapports biaisés avec la population, mon manque d'audace et de répartie. Et tout cela aussi est vrai. Mais j'aurais pu le supporter. Bien d'autres métiers supposent l'équivalent.

Non, je crois surtout que j'ai eu peur de m'abîmer. De ne plus voir dans la misère et la détresse qu'un énième sujet de société, de recevoir les confidences avec l'arrière-pensée d'un papier en Une. De penser le monde selon la règle du "mort kilométrique" (un macchabée à deux pas en vaut 50 à Bamako). Je ne veux pas pouvoir me laver les yeux de tout, pour reprendre l'expression de la téléreporter Marine Jacquemin.

Au moins, le métier de prof me permet de rester humaniste.

samedi, janvier 13, 2007

C'est couillon, un élève

Jason, mon petit Jason, toi qui tournes à 6 de moyenne depuis le début de l'année, penses-tu un instant que je vais croire que tu as imaginé seul une phrase telle que :
"ce rapport objectivité/subjectivité ne se résume-t-il pas finalement dans la balance entre entre le travail de rétrospection (regard en arrière sur les faits passés) et le travail d'introspection (observation méthodique de l'auteur sur sa vie intérieure) de l'auteur ?"

mardi, janvier 02, 2007

Joyeuse surconsommation 2007

1er janvier 2007 : les supermarchés français ont enfin accès à la pub télévisée. Réjouissons-nous de ce progrès pour le consommateur, qui n'avait jusqu'ici que la radio, les pages de ses journaux et magazines préférés, les hideux panneaux qui défigurent le paysage urbain et routier, les couloirs de métro, les affichettes des grandes surfaces et les brochures en papier glacé distribuées dans sa boîte aux lettres pour s'informer. Au vu des quelques spots diffusés dès hier, on peut de surcroît s'attendre à des sommets inouïs, question créativité.
Si je suis un brin amère, c'est que, par moments, mon ancien métier de journaliste me revient. Que je me souviens des menaces pas voilées du tout du grand annonceur local, un supermarché justement, lorsque nos fort innocents articles gênaient ses petites affaires. Je me souviens aussi de la mine de l'éditeur et de la responsable du service commercial, expliquant au gratte-papier trop consciencieux qu'il allait falloir revoir sa copie, sous peine de se voir retirer un sacré budget pub. Et je me dis que les reportages sur les coulisses de la grande distribution, les heures sup' non payées des caristes ou le harcèlement moral des caissières ne risquent pas de fleurir sur nos chaînes hertziennes dans les années à venir.
La loi qui, depuis 1968, empêchait les supermarchés de postillonner sur nos petits écrans avait pour but de protéger la presse écrite, qui tire une immense partie de ses revenus de ces réclames-là. Si violemment que je vomisse un système qui fait dépendre l'info de la pub, je me demande un peu comment vont survivre les journaux, ces vestiges préhistoriques où l'on trouve encore investigation, analyse de plus de trente lignes et mise en perspective, si on a de la chance. Je m'inquiète aussi de savoir à qui va profiter cette manne inespérée. Sur ce dernier point, je suis rassurée par la lecture d'un Libé de décembre : "Bonne nouvelle : c'est TF1, une pauvre petite chaîne dans le besoin, qui va survivre grâce à la grande distribution." Bonne nouvelle, oui : je ne suis pas la seule à habiller de sarcasme mes très sérieuses craintes.