jeudi, septembre 28, 2017

Comme un ouragan part 5.

Harvey, suite et fin.

La reconstruction prendra du temps, beaucoup de temps. Chaque jour, la Croix-Rouge et d'autres associations demandent de l'aide. Ayant repris le boulot, ce n'est plus possible pour nous de nous libérer quatre ou cinq heures d'affilée (les assos demandent souvent 10 à 12H de disponibilité par jour !). 

Cependant, un samedi, quand l'association des Humanistes de Houston propose un nettoyage des maisons sinistrées dans les quartiers modestes de la ville, on décide de s'inscrire. Il faut croire que l'avalanche de "God bless you", de "I'm okay, thank God" et les images de gentils volontaires chrétiens déblayant les gravats ont aiguillé notre militantisme : nous, on va montrer que les athées font aussi bien. 

Rendez-vous à 10H sur le parking de Fiesta, un supermarché hispanique. On nous explique qu'il faudra une personne bilingue par groupe, car le quartier est peuplé d'immigrés ne parlant pas anglais, qu'il faut bien documenter l'état de la maison et discuter assurance avec les propriétaires avant de tout casser. On nous tend un seau avec masques, gants, sacs poubelles géants, cutter et javel. A dans cinq heures.

Nous mettons un bon moment avant de trouver la maison : c'est un lotissement si neuf qu'il n'est pas encore répertorié sur Google maps. Le quartier entier est sinistré. Des piles géantes de meubles rongés, de vêtements foutus et de plâtre sont disposées tous les trois mètres. La famille ne parle effectivement pas anglais : c'est à moi, et à mon espagnol vacillant, d'assurer la communication. Mon vocabulaire des travaux n'est fameux ni en anglais ni en espagnol, peut-être même pas en français à vrai dire, mais avec quelques gestes, on se débrouille. 

Notre groupe se compose de cinq personnes : trois femmes, une adolescente, et N. Il faut nettoyer le sol, couvert de boue séchée, arracher le linoléum, découper les cloisons et retirer la laine de verre gonflée par les eaux. La moisissure noire est visible : on a si chaud qu'on respire mal, mais pas questions d'ôter les masques. Il y a potentiellement une dizaine de maladies respiratoires à choper. 

L'après-midi, je me charge de déblayer le terrain avec Alina, la maîtresse de maison. Nous jetons laine de verre détrempée, planches pourries, cahiers d'écolier, couches (propres) imbibées, jouets d'enfants... Ca fout un cafard terrible. Alina secoue la tête en disant "ropa, ropa...tanta ropa" ("des vêtements, des vêtements... tant de vêtements"). Deux ou trois fois, en tombant sur un jouet plastique en bon état, je lui demande si elle est sûre qu'elle veut le jeter. Elle finit par me dire "tu sais, l'eau qui était dans la maison, elle contenait une couche d'excréments qui flottait à la surface." Je comprends mieux, et ne demande plus.

A 15H sonne le rassemblement des troupes. On est loin d'avoir fini, mais la conductrice du groupe a besoin de rentrer. Je précise à Alina qu'elle peut rappeler l'asso quand elle veut, qu'on peut encore l'aider. Au moment de partir, elle nous serre dans ses bras et je crois bien qu'elle va se mettre à pleurer. On voudrait tous faire tellement plus, on promet de contacter d'autres assos qui peuvent l'aider à avoir un nouveau lit, de revenir. La vérité, c'est ce que cette famille va devoir squatter chez le beau-frère encore plusieurs mois, que l'argent du fonds fédéral n'arrivera pas avant des lustres, et qu'en plus on n'est même pas sûrs que les inondations ne se reproduiront pas en 2018 ou 2019. 

Des voix s'élèvent pour accuser le changement climatique, la destruction des wetlands qui absorbaient les pluies, l'absence de planification urbaine, le zonage dépassé qui n'indique plus aux propriétaires si leur maison risque d'être inondée. Certes, les quartiers qui ont souffert d'Harvey sont modestes, mais ceux qui ont été volontairement inondés pour soulager les deux réservoirs le sont beaucoup moins. Tout cela va donner lieu à des procès, et l'on peut espérer voir les choses changer. Un peu. Mais c'est déjà ça de pris.

mercredi, septembre 27, 2017

Comme un ouragan part 4.

Maintenant qu'on peut à nouveau circuler, on a envie de donner un coup de main. Les sites de la Croix-Rouge, de Baker Ripley et autres associations sont saturés d'appels. Je m'inscris sur tellement de listes de bénévoles que, quand je finis par recevoir un message, je ne sais même plus d'où ça vient. Qu'importe : on nous demande de venir à partir de 10H au foyer de l'Armée du Salut. On ira. 

A l'arrivée dans le bâtiment, des gens dorment dans le couloir. On nous fait signe d'entrer, on prend nos noms, et puis on nous dirige en cuisine. Il faut préparer le déjeuner pour 120 personnes, soit 50 de plus que ce foyer héberge habituellement. Il y a donc là sans-abris "traditionnels", et sans-abris "occasionnels", pêle-mêle. Je dois dire qu'on ne voit pas vraiment la différence. 

On découpe des tomates, on déballe des cookies pour le dessert, quand soudain arrive un camion plein à ras bord de dons. On décharge les dizaines de barquettes sur le plan de travail. Maria, la chef de cuisine, inspecte le tout : des oeufs au bacon, du riz cuit, de la salade, des pains naan, des saucisses... Elle renifle, touche, en fout les trois quarts à la poubelle. "Si je ne suis pas prête à le manger moi-même, je ne le donne pas aux résidents", explique-t-elle. Les restaurants locaux ont voulu se montrer généreux, en nous envoyant leurs invendus ; mais il est clair que les règles élémentaires de conservation n'ont pas toujours été respectées. 

Maria décide qu'on servira les 130 burgers qu'une compagnie texane, Chick Fill-A, avec des chips ce midi. En dessert, quelques tiramisus rescapés de la poubelle, cookies et muffins colorés. Drôle d'idée, pour une nourriture censée reconstituer les évacués et les SDF. En France, chez l'abbé Pierre, c'est plutôt jambon cuit, purée et petits pois. Le lendemain midi, même topo : pizzas géantes, livrées par Russo's, chips, et cupcakes. Je remarque qu'il y a un tiers d'enfants dans les bénéficiaires que nous servons. Bon. J'admets que les principes d'équilibre alimentaire ne soient pas la priorité en ce moment.

Au moment de passer à la vaisselle, un gars du service jeunesse vient nous chercher : un gars venu livrer du matériel de chantier depuis l'Arkansas a rempli le reste de son camion de packs d'eau. Il faudrait décharger. Il fait à présent 32 degrés sous le soleil texan et personne ici ne manque d'eau, mais on accepte le cadeau. Tout cela sera redistribué dans les coins du Texas qui en ont besoin. Vers 13H30, crevés, on se dit qu'on aimerait bien partir. 

Mais c'est le moment que des particuliers choisissent pour amener des chargements entiers de couvertures, savons, chaussettes, jeux pour enfants, etc. Pas question de leur dire de revenir plus tard : ils ont déjà eu un mal de chien à trouver un centre qui accepte encore les dons, tellement tout est surchargé. Alors on collecte, on trie : le neuf, le deuxième main, le pour maintenant, le pour plus tard. On trouve des trucs étonnants : mais qui diable fait don de chaussettes d'occasion ? 

A 14H15, on rentre s'affaler sur le canapé, assez satisfaits, finalement. C'est bête à dire, agréable d'échapper un moment au syndrome du survivant, celui qui n'a souffert de rien alors que tant de gens ont tant subi autour de lui. 

(Bon. Le deuxième jour à l'Armée du Salut, on a assisté au show d'un magicien apparemment hyper célèbre, David Blaine. L'équipe de com' nous a demandé d'enfiler des tabliers siglés de leur logo et de se placer dans le champ des photos. Et voilà comment on se retrouve imposteur magnifique : on trônera sur le site internet de l'assos après y avoir donné en tout et pour nous 8H de notre vie, alors que les vrais bénévoles n'ont pas été sollicités... On s'est sentis un chouïa moins contents de nous du coup). 

lundi, septembre 25, 2017

Comme un ouragan part 3

Les jours avancent, l'école reste fermée. Six jours ouvrables, auxquels s'ajoutent week-ends et un lundi férié, soit 11 jours d'assignation à résidence. Plusieurs autoroutes sont coupées, car elles servent de bassin pour stocker l'eau et dégager d'autres voies. Des "underpass", ces routes souterraines, sont impraticables : l'eau y atteint parfois un bon mètre. 

Nous avons de la chance : non seulement nous habitons au 5e étage, mais nous sommes aussi près du quartier riche de la ville, dont les pompes fonctionnent extrêmement bien. Nous avons de l'électricité, internet, de l'eau potable non polluée. Chaque jour ou presque, je profite d'une accalmie pour aller constater la situation en "live" : quelques branches cassées, quelques ruisseaux qui n'étaient pas là la semaine dernière, mais globalement, rien de grave. 

Le plus inquiétant, c'est la fermeture des commerces. J'en développe des réflexes de survie : combien de temps peut-on tenir avec cette quantité de bouffe ? Encore dix jours, selon mes calculs. Nous avons assez d'eau en bouteille pour tenir quatre jours sans se rationner, si jamais les canalisations sont contaminées. Chaque jour, on charge nos téléphones et ordinateurs à fond, au cas où. Nous avons disposé des bougies un peu partout dans l'appartement. Ce qui avait commencé comme des vacances improvisées se poursuit en mode guerre des nerfs. 

La télé américaine ne fait rien pour arranger les choses. Nous n'avons qu'une chaîne d'info en continu sur internet, CBSNews. Ce n'est pas peu dire que leurs reportages sont anxiogènes : câbles à haute tension cachés dans les flaques, alligators et serpents entrant dans les maisons à la faveur des inondations, réservoirs qui menacent de craquer, usines chimiques qui menacent d'exploser, moustiques porteurs de virus exotiques, découvertes de cadavres noyés dans des circonstances toutes plus abjectes les unes que les autres... On se croirait dans une superproduction hollywoodienne. 

La présentatrice semble presque se délecter d'employer des mots aussi dangereux, aussi rares, "explosion", "des dégâts qui se chiffrent en millions", "l'une des plus grandes catastrophes naturelles de l'histoire des USA". Ce sensationnalisme éhonté donne envie de vomir. Mais la crainte colle à l'écran : on veut savoir, évaluer, comprendre à quoi on a échappé, au juste. Il n'y a que quand mon coeur se met à battre à toute vitesse, alors qu'on parle de danger hypothétique, et à plusieurs kilomètres, que je parviens à me dire stop. Ca suffit. Les reportages crapoteux me font plus de mal que de bien.

On prend des nouvelles des copains, on en donne aux proches vivant en France. On peut situer avec précision le jour où les télés françaises font un reportage sur l'événement : ce jour-là, on reçoit quinze emails demandant si ça va. On essaie de ne pas s'agacer des connaissances facebookiennes droguées à l'info qui cherchent à t'expliquer ta propre situation. Comme si tu ne passais pas un quart de tes journées à te renseigner dans tous les sens. 

Le mercredi 30 août, pour la première fois depuis une semaine, le soleil brille quand on se lève. Harvey s'en est allé voir ailleurs. Notre partie de la ville est définitivement hors de danger. Maintenant, il faudra reconstruire, nourrir, aider ce qui n'ont pas franchement eu notre bonne fortune. 

dimanche, septembre 24, 2017

Comme un ouragan part 2.

Le samedi, au réveil, il pleut des cordes. A Houston, on a l'habitude, à chaque fois qu'il flotte c'est quasiment la mousson. Mais là, le ciel est noir, bouché ; il faut allumer la lumière électrique dès le petit matin. C'est très inhabituel, dans notre zone tropicale très lumineuse. Du haut de notre cinquième étage, on essaie de distinguer ce qui se passe en bas : pas grand-chose, semble-t-il. Les maisons et les arbres ont toujours la même tête qu'hier soir, en plus mouillé. 

L'école envoie un deuxième message : elle sera fermée lundi et mardi aussi. Le temps prend alors une consistance différente. On sera là, quatre jours, tous les deux dans notre 100m2, avec des livres, des films, une salle de sport trois étages plus bas et internet. Quatre jours sans aucune obligation extérieure : pas de boulot, pas de courses, pas de plein d'essence, rien. Juste du temps à modeler, dont on fera ce qu'on voudra, absolument. Quand a-t-on un moment comme ça, dans la vie ? Sans aucune sollicitation ? C'est presque relaxant. Et de fait, les premières nuits, je dors mieux : plus de stress, plus de chaleur étouffante ni de lumière aveuglante dans la figure à 7H du mat'. 

Le soir, notre amie et voisine nous invite à venir regarder un film chez elle. On accepte, contents d'échapper à l'assignation à résidence pendant quelques heures. Mais dix minutes avant l'heure, un orage formidable éclate. Je commence à douter que ça soit une bonne idée. La télé a parlé de câbles à haute tension qui pourraient être tombés, puis avoir été recouverts d'eau, et qu'on pourrait heurter par mégarde. N, à qui on a promis qu'on jouerait aussi à des jeux de société, ne veut pas en démordre : c'est à cinq minutes à pied, ce n'est rien, et il n'y a même pas dix centimètres d'eau par terre. Notre amie nous envoie des textos : ne venez pas, tant pis, on prévoit des mini-tornades d'ici minuit, ça craint. 

On met le nez dehors : bon, ça ressemble à une grosse tempête, mais je suis bretonne, j'en ai vu d'autres. On trottine donc, vêtus de notre plus belle cape de pluie, jusqu'à chez la copine, qui nous voit débarquer avec des yeux ronds : "You made it ! Waouh !" Elle nous installe dans la salle de repos communautaire. Tout autour traînent plusieurs résidents de son bâtiment, visiblement désoeuvrés et un peu inquiets. On commence à jouer ; j'ai vue sur la piscine, transpercée de grosses gouttes diagonales, éclairées par les projecteurs. Tout au long de la soirée, je la verrai se remplir dangereusement. 

Vers les 22H, on décide de monter chez notre amie regarder le fameux film. Il y a une accalmie. On décide d'observer depuis le balcon. Plus de pluie, mais la rue est devenue une petite rivière. Le trottoir est entièrement recouvert, et la route submergée en plusieurs endroits. Deux voitures sont noyées, sur notre gauche. Quelques fous, ou inconscients, conduisent dans ces bons soixante centimètres de flotte. Sans doute le fait d'avoir un 4x4 pousse-t-il à se croire invincible. Quelques-uns font demi-tour à mi-chemin, effrayés par le bruit que font leurs roues ralenties par les trous d'eau. 

Un couillon passe et repasse à toute blinde, comme amusé par le divertissement gratuit. Il pousse les autres voitures plus prudentes à accélérer, ou à continuer quand elles voudraient peut-être renoncer. Mais bientôt, les pompes étant super efficaces, l'eau diminue à vue d'oeil. Les trottoirs sont à nouveau visibles. Des gens commencent à sortir promener leur chien, d'autres viennent voir si leur véhicule a pris cher. Nous rentrerons presque à pied sec, juste aux alentours de minuit. 

samedi, septembre 23, 2017

Comme un ouragan part 1

(Le titre est facile, c'est vrai, je m'en excuse de suite, mais il me fait rire.)

Harvey, j'en ai entendu parler la première fois un mercredi, à la cantine, par une collègue de sciences américaine. "Vous savez qu'un ouragan se dirige vers nous dans les 48H ?" La tablée, entièrement constituée de profs présents depuis un an à peine, s'allume de petits sourires. "Moi j'ai presque envie de voir ça, on nous parle de saison des ouragans et on n'a encore rien vu." "Oui, enfin bon, si c'est comme à chaque fois, on nous dit de prendre des milliers de précautions et il ne se passe jamais rien." "Personnellement, je préfère ça au fait de me faire surprendre sans matériel, rétorque la collègue américaine. C'est pas si difficile de stocker de l'eau et de la nourriture pour quinze jours."

Son argument fait mouche. Qu'est-ce qu'on perd à se préparer ? Le lendemain, je profite d'un trou dans mon emploi du temps pour aller acheter un peu d'eau et de conserves. Première surprise : le supermarché qui est tout le temps vide est à demi-plein. Deuxième surprise : le rayon eau est quasiment dévalisé. J'embarque deux des dernières bonbonnes d'eau à prix raisonnable, et un pack d'eau gazeuse. 

En fin de journée, on repasse au Wall-mart du coin se procurer des bottes, des piles et des bougies : là, le rayon eau est complètement vide, ratissé. Il ne reste même plus les eaux bourrées d'anti-oxydants ou issues d'un puits himalayen ultra-pur à 3 dollars les 50cl. Qu'à cela ne tienne, les Américains autour de nous bourrent leurs caddies de soda et de jus de fruits. Je me demande vaguement si c'est ça qu'ils utiliseront pour remplir les biberons des nombreux bébés que j'aperçois. On achète aussi de la nourriture qui ne périme pas, au cas où on serait coincés plusieurs jours : pain, céréales, maïs et autres trucs en boîtes qui ne nécessitent pas de cuisson. Le réflexe des locaux est encore une fois différent : ce sont les chips, gâteaux et snacks qui partent le plus vite. Plus tard, on distinguera de jolis fruits et légumes pourrissant tranquillement sur leurs étagères, à travers les vitres des commerces fermés pour raisons de sécurité. 

Le soir même, l'école envoie un message à tous ses personnels : pas d'école demain, la météo est trop mauvaise. Je dois avouer que j'ai eu un petit mouvement de joie. A ce moment-là, on espérait encore que ça ne serait pas grand-chose, qu'on en serait quittes pour plus de peur que de mal, comme à chaque fois qu'on a une alerte aux inondations-éclair. 

Le vendredi matin, tout était calme dans le quartier. Je suis sortie faire un tour, en étrennant mes nouvelles bottes en caoutchouc. Il y avait bien quelques magasins qui clouaient des panneaux de bois sur leurs vitrines, d'autres qui empilaient des sacs de sable devant leur porte, mais la majorité semblait continuer à vivre comme si de rien n'était. Et puis les images de Corpus Christi ont commencé à arriver. 

La ville avait été frappée de plein fouet par l'ouragan. Des bâtiments avaient été pulvérisés, retournés sur eux-mêmes façon maisons de poupées et éparpillés sous forme de planches un peu partout autour. Des routes étaient bloquées. Des arbres déracinés. C'est là, je crois, qu'on a vraiment commencé à comprendre que c'était un danger mortel. 

Chez nous, Harvey ne débarquerait pas avant la soirée, voire le milieu de la nuit. La météo se voulait rassurante : ce n'est plus un cyclone de catégorie 4, juste une grosse tempête tropicale. Ce n'est plus le vent qui peut causer des dégâts, mais la pluie, surtout si elle s'installe un peu trop longtemps sur nos têtes. Mais on ne devrait pas avoir l'effet "soufflé par une bombe" des villes de la côte. On a respiré un peu mieux, et on est allés se coucher, se demandant un peu dans quel état on trouverait Houston au réveil.

mardi, août 29, 2017

Rentrer.

La France m'a choyée.
Des cent cinquante fromages achetés par mes parents pour me faire plaisir, à l'accueil de rock-star reçu dans mon ancien lycée, de pique-nique aux Buttes-Chaumont en baignade frileuse dans les eaux du Morbihan... Chaque instant ou presque fut un émerveillement. Paris est si belle, en août, que je lui pardonnerais même ses tables minuscules, ses toilettes ignobles et ses serveurs malpolis.

Mais voilà, il faut rentrer. Le coeur gonflé de l'amour des siens, et le coeur gros de devoir les quitter, on récupère ses énormes valises et on y va. 

A l'aéroport, dès l'enregistrement des bagages, je suis saisie par une petite voix flûtée qui m'appelle. C'est une de mes élèves – le vol en sera plein. A chaque fois que nos chemins se croiseront, au contrôle des passeports, à l'embarquement, elle m'interpellera comme si c'était la plus grande coïncidence du monde. Si j'apprécie la marque d'attention, je ne kiffe pas nécessairement le serrement de main aux parents que cela entraîne. Voyez-vous, quand on s'apprête à passer dix heures dans un avion, on a les cheveux sales, la tenue confortable, voire le vieux sac Quechua taché en bandoulière et un magazine à la con dans la main. La dernière chose dont on a envie, c'est d'assurer le service après-vente de son école. Alors, j'avoue, je suis allée me planquer au Relay H le temps qu'une famille que je connais passe la sécurité.

Tout au long du processus d'embarquement, l'automatisation des tâches m'a étonnée. Pour imprimer son billet, ça, on connaissait ; puis, pour enregistrer son bagage et le faire glisser sur le tapis roulant ; pour contrôler les passeports ; enfin, pour vérifier l'identité des gens montant dans l'avion. Rien qu'avec mon trajet personnel, c'est déjà trois jobs de supprimés (et pas mal de bugs). 

Le vol est finalement une extension de mon séjour français, avec surdose de films tricolores. J'hésite même à prendre un verre de champagne, parce que c'est censé être la spécialité d'Air France et parce que je peux, mais finalement, 11H du matin, c'est un peu tôt. Je me plonge dans "Le ciel attendra", film incroyable dont je n'avais pas entendu parler, et "Aurore", que je ne connaissais pas plus. Après tous ces mois d'Hollywood trustant les salles comme Netflix et Itunes, la finesse du cinéma européen me fait du bien. Détail qui ne gâche rien, mon plateau végétarien me sera servi avant tout le monde, faisant bien des envieux qui se demandent ce que je peux bien avoir de spécial. Très honnêtement, je savoure : c'est fort rare que mon régime alimentaire me donne l'impression d'être traitée comme une reine.

A l'arrivée, mon oreille remarque tout de suite le petit accent traînant des personnels au sol : nous voilà bien revenus dans le Sud étatsunien. Je ne suis pas triste, je suis à peine fatiguée : j'ai le sentiment de rentrer à la maison, la seule qui soit réellement mienne à présent, de réenfiler des vêtements confortables, que j'ai faits à ma taille. Serais-je en train de m'habituer au Texas ? Cerise sur le gâteau : l'agent d'immigration, en voyant ma carte verte, me lancera un grand « Welcome home » joyeux. C'est la première fois.  Vous savez quoi ? Ca m'a remuée.  

jeudi, juillet 13, 2017

Touriste dans son propre pays

Depuis deux semaines, je ne suis plus texane, mais à nouveau française. Une sorte d'expatriée, mais repatriée  jusqu'à la rentrée des classes. Et figurez-vous qu'il y a pas mal de choses qui me frappent. Tout d'abord : mais qu'est-ce que tout est petit et serré, à Paris ! Forcément, au Texas, avec la moitié moins d'habitants que la France, pour une superficie supérieure de 50 000km2, on est moins gênés par la foule. Les restos me semblent exigus, les clients d'à côté sont presque à portée de coude, et le volume sonore monte extrêmement vite. Oui, et les serveurs m'apparaissent super désagréables, aussi. Ca, c'était prévisible.
Ensuite, qu'est-ce que c'est beau, la France ! Je suis émerveillée par la moindre balade à pied dans Paris. Dans ma ville américaine conçue pour les bagnoles, on ne marche pas, ça n'a aucun intérêt, et de toutes façons le paysage n'est pas beau. Ici les vieilles pierres, les bords de Seine, les plages bretonnes, les maisons médiévales de Vannes, tout me semble avoir un cachet fou. Même les fringues m'enchantent par leur charme - moi qui ai toujours haï le shopping. Les Parisiens tellement stylés me font presque honte : j'ai pris de mauvaise habitudes au pays du jean et du tee-shirt informe.
Et puis, en vrac : les odeurs sont différentes (viande grillée ou frites à toute heure vs relents de pisse du métro), la bouffe presque aussi calorique (enchiladas Tex-Mex vs camembert rôti au miel) mais aux goûts plus subtils ici, ah encore des serveurs prétentieux, tiens les gens te laissent la priorité quand tu as la priorité... 
Mais le plus marquant, c'est que tout ici m'est plus facile. Je suis malade ? Je sais comment prendre rendez-vous chez le médecin, payer un prix fixe, me faire faire une lettre pour un spécialiste si besoin, demander conseil au pharmacien. Je veux parler avec ma banque ? Je connais les services, les taux, ce qui est garanti et ce qui ne l'est pas. Même le vocabulaire à utiliser chez le coiffeur m'est cent fois plus aisé qu'aux States, et pourtant je n'échange pas plus de quinze mots avec la personne qui s'occupe de mes cheveux. 
C'est un peu ça, l'essence de la vie d'expat : au-delà de la langue, qu'on maîtrise plus ou moins, le sentiment d'étrangéité, c'est surtout ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Tout est apprentissage, tout est effort et occasion de faire (encore) une boulette. C'est fatigant, mais ça ouvre l'esprit en grand.