lundi, octobre 22, 2007

Guy Môquet toi-même

"Je ne suis pas prof d'histoire-géo, ce n'est pas à moi qu'il revient de vous lire la lettre d'un résistant". Voilà de quelle manière, un peu honteuse, j'ai botté en touche face aux questions de mes élèves ce matin. Il est vrai que je n'ai pas imaginé une seconde qu'on me demanderait ça à moi, et qu'il seraient si impatients de connaître ce fameux texte dont tout le monde parlait. J'aurais été maligne, j'aurais prévu un refus argumenté.
Tout d'abord, je suis assez mal à l'aise quand le politique tente de réécrire l'histoire. De rôle positif de la colonisation en militant communiste subitement devenu pur symbole consensuel, y'a de quoi se méfier. Les programmes scolaires sont habituellement élaborés par un comité de spécialistes qui savent hiérarchiser les savoirs entre eux et dégager des événements d'ordre symbolique. En français, il nous contraignent à enseigner un objet d'étude donné, comme "l'autobiographie" ou "la poésie". Jamais au grand jamais ne nous impose-t-on un auteur censé être plus représentatif, ou de plus grande valeur, ou suscitant une émotion plus propice à former un citoyen conforme.
Justement, ça aussi c'est gênant. Mes collègues historiens tiennent beaucoup, et ils ont raison, à la démarche rationnelle, documentée, minutieuse qui est la leur. Si on peut reconnaître une valeur exemplaire à l'exécution du jeune Guy Môquet, sa lettre ne nous apprend rien : elle se contente de faire pleurer les présidents de la République, et perdre les rugbymen. Or la démarche compassionnelle est aux antipodes exactes de la démarche réflexive et analytique. Exalter la pitié, c'est séduire ou révolter, mais ce n'est pas développer l'esprit critique.
C'est d'ailleurs ça que j'enseigne, moi : reconnaître les divers types d'argumentation, et les mécanismes auxquels ils font appel. L'émotion, la raison, le libre-arbitre du lecteur à qui l'on présente deux avis possibles, la perception visuelle lorsqu'il s'agit de publicité, et le type de manipulation induite sur le destinataire.
...un peu comme dans les discours politiques simplistes, quoi.