jeudi, mai 29, 2008

Comme vous.

Le matin, on avait travaillé sur la presse, et je leur avais dit que j'avais été journaliste avant. L'après-midi : "Bon, vous prenez vos cahiers de textes/agendas, et vous écrivez que demain je serai absente...
-Madame, la grève c'était hier !
-Je ne suis pas en grève, Soraya, je fais comme vous, je passe des examens !
-Et vous venez nous voir jouer demain soir Madame ?
-Ah non Aurélie, ça aurait été avec plaisir, mais je ne peux pas : je répète pour la pièce que je joue au mois de juin."
Brouhaha :"mais elle fait tout elle!", "putain c'est comme nous", etc. Puis Patricia lève la main :
-"Mais Madame, vous êtes mariée ?
-(Rigolarde) ah non, effectivement je ne suis pas mariée."
Je me retourne, sur un "ah, enfin un petit défaut !" chuchoté dans mon dos. Ouf ! Sa vision du monde était sauve : on ne peut pas à la fois avoir une myriade d'activités ET un amoureux. Là, je ne suis pas du tout sûre qu'elles aient eu envie d'être comme moi dans quinze ans. Et je suis sortie avec un sourire doux-amer...

mercredi, mars 05, 2008

Paradoxe

Ah, l'incomparable torture des amours naissantes, du doute et de l'introspection stérile ! De la prudence quand on voudrait bien se vautrer dans l'optimisme débridé, du rejet sonore pour mieux revenir, des atermoiements exaspérants et délicieux.
Et comme on sera désolés quand toute cette agitation aura pris fin !

lundi, février 11, 2008

C'est important, le symbole.

-10 000 postes dans l'Education nationale à la rentrée prochaine*.
+ 4000 postes de flics dans les "quartiers" pour le plan banlieue.
Le message est vraiment subtil. Apparemment, parmi les fonctionnaires, les feignasses surpayées et improductives ce sont les conducteurs de train et les profs, pas les CRS.
Certes, c'est long, ça coûte cher, et on n'est pas sûr de réussir, quand on tente d'enseigner auprès de petits "sauvageons". Mais il n'y a que les combats l'on ne livre pas qui sont perdus. A faire le pari de l'ignorance et de la force pour la mater, on est plus assuré de son coup : les gamins qui écoutent Bach dans la voiture de Papa à six ans s'en sortiront toujours. Au pire, si ce ne sont pas des foudres de guerre, il y a les cours privés et les boîtes à bac. Celui qui, depuis la maternelle, va à l'école au pied de sa cité n'aura qu'à grossir les rangs des travailleurs manuels. Et qu'y peut-on si personne n'embauche les Mohammed qui viennent de Clichy-sous-bois ni les Fatoumata de Trappes. Egalité des chances mon cul.
*Qu'on ne vienne pas me parler baisse démographique. Les syndicats estiment qu'il y aura cette année une remontée 20 000 élèves dans le secondaire, parfaitement prévisible à partir des effectifs du primaire. De plus il n'y a pas que des postes de profs mais d'aides-éducateurs, de CPE et d'assistants d'éducation qui sautent, c'est-à-dire tous ces gens qui nous permettent de sanctionner et remettre sur les rails les élèves absentéistes, décrocheurs, insolents, violents, etc. Ceux qui font en sorte que les couloirs restent silencieux quand on enseigne, que la cour ne se transforme pas en ring, que les parents soient informés des errements de leurs enfants... Bref des collègues précieux.

mercredi, janvier 23, 2008

J'ai raté ma vocation de tribun

Soucieuse d'effacer l'exemple peu glorieux de la non-lecture de la lettre de Guy Môquet, j'ai ce matin entrepris d'expliquer posément à mes élèves pourquoi je vais faire grève demain.
MOI -Tout d'abord, en ces temps où on parle beaucoup de pouvoir d'achat (hochements de tête dans l'assistance), sachez que celui des fonctionnaires, et des profs en particulier, ne cesse de dégringoler depuis trente ans. Depuis l'an 2000, nous avons déjà perdu 7%.
NATHALIE-Vous avez raison Madame !
JESSICA- Ouais ! Révolution !
MOI-Ensuite, nous protestons contre les suppressions de poste ; rien que sur notre académie, 637 postes de profs en collège et lycée seront supprimés à la rentrée prochaine. Vous êtes déjà trente par classe, et c'est beaucoup ("Ha oui!" dans l'assistance). Si on arrive à 35, voire 40, moi je ne sais pas comment je fais pour avoir toute l'attention nécessaire pour aider les élèves en difficulté.
DESIREE-Et puis Madame, ça vous fait travailler plus, vous ?
MOI-Oui, en quelque sorte, avec les corrections, les conseils de classe et les réunions avec les parents. Et ce sera plus difficile du point de vue des conditions d'enseignement aussi.
DESIREE-(Toute contente de sa formule) Alors c'est travailler plus pour gagner moins !
Qui a dit qu'il fallait désespérer des jeunes du 9-3 ?

vendredi, janvier 18, 2008

Rien n'est jamais acquis à l'homme

Le décor : ma classe pourrie, particulièrement pourrie depuis le retour des vacances.
La consigne : imaginez un court dialogue dans lequel vous ferez apparaître le comique de mots.
Jeux de mots, rimes, accents à couper au couteau, blagues, j'avais prévu de ne pas être difficile. Le premier demi-groupe se lance dans la tâche avec l'enthousiasme des jeunes chiens fous : "Eh madame ! Si je mets ça... Non, attendez, venez voir plutôt, ils vont me piquer mon idée." Ca commence bien. A la correction, Joris nous lit son dialogue :
"_Oh ! Quel joli chat siamois !
_Oui, ce chat si à moi, on n'y touche pas."
La classe se marre, je félicite le jeune auteur, tout content.
Demi-groupe B. Entrent en faisant les cons. J'expose la consigne, tout bien pareil, et je rebondis sur le cours précédent pour leur expliquer en détail :
"_Alors tout à l'heure, dans le demi-groupe A, y'a un élève qui a fait un jeu de mots avec "ce chat siamois" et "ce chat c'est à moi", c'est très bien, c'est tout à fait le genre de choses que vous pouvez écrire...
_Oha Madame, comment c'est pas drôle !
_Ouais c'est qui le bouffon qu'a écrit ça, on va se foutre de lui à la récré !
_Je parie que c'est Abdel, il écrit toujours des trucs pourris lui !"
Cent fois répète-toi bien ça, ma grande : en enseignement, rien n'est jamais acquis...