Je suis larguée. J'avoue. Ma classe de première techno - à laquelle je ferai désormais référence sous le vocable "ma classe pourrie" - est remplie d'individus obéissant à des comportements qui me sont complètements inconnus. Chaque matin, je plonge dans la quinzième dimension. Au moins.
Le vendredi, je vois mes terreurs en demi-groupes. Ca doit normalement mieux se passer. Sauf que. La première fournée décide que le français, elle aime pas ça pis elle est nulle, d'abord. Donc elle n'en foutra pas une, je suis prévenue. Pas décidée à vivre une heure à couteaux tirés, je les laisse s'exprimer. Quels sont les problèmes ? "Vous donnez trop de travail". J'apprends que certains ont des jobs le samedi matin, d'autres quatre petits frères à border le soir. "Vous êtes trop stricte." "Vous avez des petits chouchous". Ah tiens. Moi qui cherche à les traiter de la manière la plus égalitaire qui soit, j'ai négligé la part de l'affectif chez mes petits caïds.
Le deuxième groupe arrive tout énervé, bruyant, je mets cinq minutes à les faire asseoir. Des regards agressifs, des mots murmurés à voix basse. Cours sur la prise de notes. Je dicte un énoncé, à eux de le réduire au maximum. En manière de défi, je dis "pas plus de quinze mots." Et en trois minutes, les voilà tous à se tortiller sur leur chaise pour que je les interroge. "Moi, moi, madame !" J'ai été brutalement propulsée en classe de sixième, une faille dans l'espace-temps, je sais pas. D'ailleurs Jonathan, collé pour travail non fait, quittera la classe en me disant : "Eh bien ça y est madame, je les ferai plus jamais vos devoirs." Na.
J'en ressors plus déboussolée que jamais. En voyant un grand escogriffe tenter d'arracher un téléphone portable à une jeune femme devant moi, en plein jour, juste à la sortie du lycée, je me dis que décidément, je ne sais rien du monde dans lequel ils vivent. Pas plus matériellement que psychologiquement.
Mais tâcher de le comprendre est passionnant. Je tiendrai bon !
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