mardi, mars 21, 2017

Carême texan

La période du Carême est l'occasion, pour les Catholiques* texans, de se livrer à toutes sortes de traditions qu'on voit rarement en France : se tracer une croix à la cendre sur le front (au début, on a très fort envie de leur dire « hé, t'as un truc là », puis ça passe), manger végétalien pendant quarante jours, et harceler les femmes qui cherchent à avorter.

Qu'on se comprenne bien : je conçois, bien qu'avec difficulté, qu'on puisse être contre l'avortement et qu'on veuille le faire savoir. Qu'il existe des cellules de crise dans les églises et même des associations promouvant ce discours pour les femmes désirant les entendre, ça me paraît normal, et même plutôt démocratique. En revanche, qu'on passe ses samedi matins à intimider des individus adultes exerçant un droit reconnu par la Cour suprême à de multiples reprises, et pas plus tard qu'en juin 2016, ça me dépasse totalement. Tant de cruauté, au moment où ces femmes ont à prendre une des plus difficiles décisions qui soient, je ne comprends pas.

Ce samedi, j'ai fait du bénévolat à la clinique des femmes. J'y suis habituée aux gens qui prient sur le trottoir, à ceux qui marmonnent « don't do it, let's talk about adoption » et à ceux qui brandissent des pancartes à la fois ignobles et mensongères. Hier, avec la campagne des « 40 jours pour la vie », on est passés à un tout autre niveau. Mégaphone, micros, prospectus lancés à l'intérieur des voitures qui avaient omis de refermer leur fenêtre, poursuite en courant d'une conductrice qui tentait de contourner le cirque pro-life en faisant un détour... Certaines femmes tremblaient de tous leurs membres en arrivant à la clinique. On a dû en faire passer plusieurs par l'arrière, et monter la musique pour essayer de couvrir les « Dieu vous regarde » hurlés par les manifestants remontés à bloc.

Une de nos blagues récurrentes, quand l'un d'entre eux se montre particulièrement agressif, est « just like Jesus would have done », « exactement comme Jésus l'aurait fait ». En vérité, ces gens sont proprement flippants. Pour eux, les lois humaines ne comptent pas. Seul ce qui vous gagne le royaume des Cieux est important. Pour la mouvance Abolishabortion par exemple (non je ne mets pas de lien, Googlez-les si vous avez le cœur bien accroché), toute vie est sacrée, y compris celle des fœtus lourdement handicapés qui souffriront toute leur courte vie. En découle que l'avortement est « un meurtre », et la clinique « un centre de sacrifices d'enfants ». The Army of God, elle, considère que l'assassinat est justifiable dans certains cas, comme envers les personnels médicaux accomplissant des avortements. Pour l'amour de son prochain comme soi-même, on repassera. 

C'est ainsi que 11 personnes (médecins, infirmières, bénévoles, patients) ont été tuées par des extrémistes depuis 1993, que plusieurs bombes placées dans les cliniques, incendies ou actes de vandalisme sont enregistrés chaque année (https://prochoice.org/education-and-advocacy/violence/violence-statistics-and-history/). Ce qui est intéressant, c'est que presque tous les criminels arrêtés sont des hommes. Plusieurs d'entre eux semblent avoir une méconnaissance totale du processus d'avortement, voire du corps féminin, et parlent de « corps de bébés démembrés » par l'avortement.


Les mouvements chrétiens fondamentalistes texans inspirent également des projets de loi admirables, comme celui forçant les femmes faisant des fausses couches à enterrer l'embryon (heureusement rejeté en janvier) ou celui permettant aux médecins de taire les complications médicales d'un fœtus aux parents pour empêcher l'IVG thérapeutique (SB 25, en cours d'examen). Beaucoup d'entre eux, qu'ils soient Catholiques ou Protestants, promeuvent le homeschooling, ou école à la maison, pour fuir l'école publique athée, jugée trop libérale. Ils ont, en Betsy deVos, l'actuelle secrétaire à l'Education, un soutien de poids. 

Lors de nos accompagnements du samedi matin, notre politique est de ne pas interagir avec les pro-life. Il nous en coûte grave, mais l'idée est de créer un environnement "safe" pour que les femmes aient moins peur d'entrer dans la clinique, pas d'avoir des conversations qui dégénèrent avec des manifestants surexcités. C'est là que me revient ce qu'écrivait Voltaire, à l'article "fanatisme" de son Dictionnaire philosophique« Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant? » Indeed.

*Les Luthériens le font aussi, mais ne jeûnent pas nécessairement. Il s'agit avant tout de prêcher et de méditer sur sa foi pendant ces 40 jours.  

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