Il arrive un jour où,
malgré les innombrables pilules disponibles sans ordonnance en
supermarché, on a besoin de voir un médecin. Et aux Etats-Unis, la
charge émotionnelle de cette simple action, voir un docteur, est
énorme. D'abord parce que ça coûte cher, et que cet univers est
impénétrable. Impossible de savoir à l'avance ce que vous paierez
sans consulter un conseiller en assurance. Ensuite parce qu'on a beau
être estampillée « bilingue » sur les diplômes
universitaires, le langage scientifique, c'est autre chose.
Confrontée à l'autorité en blouse blanche, on perd ses moyens, on
a un besoin paranoïaque de comprendre le sens de la moindre virgule,
bref on n'est pas dans son état normal, et on flippe. On est
vulnérable, ramené à un vague sentiment infantilisant par ces
personnels qui ne vous expliquent rien et vous manipulent à leur
gré.
J'exagère ?
Essayons un instant le coup de l'empathie : vous êtes moi, cher
lecteur. Vous ressentez une grosse fatigue générale, vous commencez
à perdre vos cheveux, vous savez que c'est sans doute dû au stress
de ce nouveau boulot mais comme vous êtes végétarienne, vous avez
tout le temps peur de manquer de fer et de vous faire une petite
anémie. Au bout de deux mois, vous décidez de consulter. Vous
choisissez la clinique au hasard, parce qu'elle n'est pas loin de
l'école et qu'on peut vous prendre sous deux jours. Avant d'inscrire
votre nom au registre des rendez-vous, on vérifie tout de même quel
est votre numéro d'assurée et si vous serez bien couverte pour la
consultation.
Vous arrivez à la
clinique. Vous remplissez un premier formulaire où on vous demande
d'identifier votre statut marital, votre employeur, votre « race »
et votre religion. Vous remplissez les deux premières catégories,
et demandez à la secrétaire pourquoi elle a besoin du reste. Elle
vous répond que vous pouvez laisser tout ça en blanc, ce que vous
faites.
Une première personne
vous reçoit, elle semble être infirmière, et conduit un
interrogatoire sur vos antécédents personnels et familiaux. Ok,
pourquoi pas, le docteur est sûrement occupé à des besognes qui
conviennent mieux à ses hauts diplômes, rationalisons le processus,
pourquoi pas. Une deuxième personne vient me voir. Il vous paraît
logique de déduire que c'est le médecin. Hé non, vous expliquera
plus tard votre époux préféré, c'est simplement un infirmier de
rang supérieur, qui ira ensuite faire valider son diagnostic par le
médecin en charge. Il vous pose des questions plus approfondies, et
note plein de choses sur un formulaire. Il emploie des tas
d'acronymes, BBC, EKG, que vous devez lui faire expliquer, bien que
vous lui ayez dit dès le début que c'était votre première
consultation aux USA. A chaque fois que vous ouvrez la bouche, il
semble vous rajouter un examen supplémentaire : test sanguin,
test d'urine, test de grossesse, on sait jamais, et
électro-cardiogramme. Electro-cardiogramme ??? Oui, si vous
avez quelquefois des palpitations, ça peut être une sage
précaution. Vous découvrirez plus tard que cet examen coûteux est
couvert par l'assurance dans le cadre d'une première visite-
« checkup ». Pur hasard, certainement.
L'homme s'en va, en vous
disant d'attendre quelques minutes avant les examens, qu'ils font sur
place. Deux femmes arrivent, vous reconnaissez l'infirmière du
début, elles vous demandent de vous déshabiller, de revêtir une
blouse de papier et d'enlever vos bijoux. Puis elles repartent sans
rien dire. Vous êtes à demi-nue dans une salle de clinique. Vous
attendez, mais vous ne savez pas trop quoi. Vous vous préparez
mentalement à traverser le couloir dans cette tenue. Vous commencez
à vous demander quel est le problème avec votre cœur. Vous faites
des calculs totalement à l'aveugle, Combien ça pourra me coûter
tout ça, 50$ ? 300$ ? Les infirmières reviennent avec des
électrodes. Point de couloir à traverser, l'examen se fera dans la
même salle, la blouse est juste pour que votre poitrine ne soit pas
dénudée devant deux infirmières et dans une pièce fermée à
clef. Ca vous paraît un chouïa excessif, d'autant plus qu'une des
deux infirmières ne cesse de recouvrir votre mamelon droit qui se
découvre en permanence. Elles posent les électrodes, les enlèvent
sans rien vous dire. Vous demandez quand même, Tout va bien ?
Elles vous disent que seul le docteur peut vous répondre. Vous
flippez quand même un brin. Une femme assez âgée passe la tête
par la porte, se présente, Je suis le chef de cette clinique, vous
allez bien ? On va regarder vos résultats, ne bougez pas. Vous
ne comprenez pas bien pourquoi vous devez voir quatre personnes pour
une petite consultation de rien du tout. Juste un peu de fatigue.
Etes-vous sur le point de faire un infarctus et vous l'ignoriez ?
Vous devez vous forcer un peu pour rester calme.
Vous passez encore par la
case prise de sang, flacon d'urine, et vous revoyez l'infirmier en
chef. Il vous informe qu'il n'y a rien d'urgent, mais que vous
devriez voir un cardiologue quand vous aurez le temps, car un
battement de votre cœur survient un peu trop tôt. Vous cherchez à
comprendre : trop rapides, mes battements ? Non, trop tôt.
Vous en parlerez avec le spécialiste. Au revoir, bonne journée !
Vous êtes un peu sonnée, mais vous gardez surtout en tête le
« rien d'urgent ». Ce n'est pas grave, c'est tout ce qui
compte.
Arrivée à la caisse,
vous serrez les fesses en attendant la facture : 25 dollars.
Soit le prix de la consultation. Tous les frais de labo sont compris
là-dedans, alors ? Vous ressortez plutôt enjouée, finalement
ça ne s'est pas si mal passé.
Trois jours plus tard,
toujours pas de résultats. Vous appelez la clinique, on vous dit
qu'on vous téléphonera quand ce sera prêt. Quatre jours plus tard,
vous recevez un appel d'une femme inconnue de vous qui vérifie vote
identité et vous dit, « Tout va bien ». Elle s'apprête
à raccrocher quand vous dites, Attendez, il y avait quand même un
test de grossesse, ça signifie quoi tout va bien dans ce contexte ?
Elle relit les résultats : vous n'êtes pas enceinte. Ouf, tant
mieux, avec les trois apéros que vous aviez pris le week-end
dernier, vous préférez. Mais c'est quand même une drôle de façon
de vous l'annoncer.
Vous en discuterez plus
tard avec un ami mexicain plus habitué que vous à ce système de
santé. Lui aussi a le vif sentiment qu'on essaie de tirer le maximum
du forfait d'assurance à chaque consultation, mais vous fait aussi
voir que la furie procédurière des Américains a du bon : pour
éviter d'être traînés en justice à tout bout de champ, les
médecins font souvent des tests exhaustifs à la moindre suspicion.
Du coup, on est bien surveillés. Ca relativise un peu, mais vous
l'avez quand même super mauvaise quand vous recevez une facture de
134$ du labo, deux semaines après.
Vous ne vouliez pas
donner dans le cliché et terminer ce post par un bon vieux
« Qu'est-ce qu'on est bien en France, avec la sécu »,
mais en fait si. Vous repensez au « copay », ce système
qui vous fait payer 25$ non remboursés à chaque visite médicale,
aux médicaments largement dispo en pharmacie et donc totalement à
votre charge, à la franchise de 1500$ par an de votre assurance, qui
est pourtant l'une des meilleures ici, à votre collègue qui va
subir une opération cardiaque dans trois semaines et n'aura droit
qu'à 6H d'hospitalisation post-op avant qu'on lui réclame son lit,
et la conclusion vous paraît inévitable. Vous vous dites même que
ce manque absolu de solidarité institutionnalisée et d'égalité
face aux soins pourrait bien être un motif déterminant dans votre
désir de rentrer en Europe. Ca, et le racisme grandissant, les
droits des femmes bafoués, les libertés civiles rognées. Mais ces
trois choses-là, je ne suis pas bien sûre qu'elles n'arrivent pas
en France bientôt.
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