mercredi, janvier 25, 2017

Ajustement culturel : la manifestation au Texas.

Dès l'élection de Trump, matin amer, j'ai su que je voulais absolument participer à la première action de protestation. Il ne s'agirait pas d'une contestation du résultat d'une élection démocratique, bien que le processus en soit daté et sujet à caution ; il s'agirait d'un rassemblement de gens de bonne volonté, démocrates, abstentionnistes, républicains modérés, écologistes ou libertariens, qui dirait en substance au président : on vous regarde. On espère que votre rhétorique misogyne, xénophobe et anti-intellectuelle, c'était de l'attrape-gogo d'avant scrutin. Et si ça ne l'est pas, que ce soit bien clair, on ne se laissera pas faire.

C'est la Women's March qui m'a fourni cette première belle occasion. Le lendemain de l'inauguration, un mouvement invitait à défiler pour le libre droit à disposer de son corps, pour le respect des cultures et religions différentes et pour le respect de l'environnement. Il n'y avait plus qu'à se rendre à la capitale de l'Etat, Austin, pour faire plus de bruit.

Oui mais. Au Texas, ancien Etat esclavagiste, la tradition de manifestation est quand même minimale, pour ne pas dire inexistante. Ici comme ailleurs, le premier amendement de la Constitution garantit la liberté de parole et de rassemblement. Il faut juste demander un permis de manifester, qui peut être refusé sans justification, ne pas trop gêner la circulation, et même faire attention à ce que les pancartes ne soient pas trop offensantes, recommande le site internet de l'Etat. Mais dans la culture locale, on manifeste peu. En général, on trouve quelques dizaines de « protesters » regroupés dans un parc (mieux toléré pour l'expression démocratique que la rue) et c'est tout. Il faut dire qu'il n'y a quasiment pas de syndicats ici, et que le fonctionnement autochtone, c'est plutôt « Ce job te plaît pas ? Quitte-le et prends-un un autre » que la plainte aux Ressources Humaines. Certains de mes collègues avaient même un peu peur de se rendre à la manif, et d'y être reconnus.

A l'arrivée à Austin, des grappes et des grappes de gens se massaient vers le Capitol Building. Certains portant des bonnets roses à oreilles de chat (pussy power!), d'autres des tee-shirts politisés, et d'autres encore une infinité de pancartes créatives, à plumes, à paillettes, ou simplement à gros traits de marqueur exprimant rageusement une indignation légitime. J'avais prévu de retrouver des connaissances sur le parvis du Capitole ; la foule était si nombreuse et si dense que cela fut complètement impossible. Les organisateurs étaient visiblement dépassés : quelques bénévoles ont tenté une chaîne humaine pour réguler et diriger le trafic, ce qui a étonnamment bien marché. Je me suis dit qu'ailleurs, sans la civilité légendaire des Américains, ça aurait sans doute tourné à l'étouffade. 

Le long du parcours, je verrai des slogans progressistes affichés sur le toit des musées, des cafés donnant tous leurs profits du jour au Planning Familial, des pancartes en espagnol et en arabe, et pas mal d'hommes à nos côtés. Pour une Française habituée à ce que les fins de manifs comportent CRS voire lacrymo, c'était incroyablement paisible. Quand nous sommes passés devant la maison du gouverneur, Greg Abbott, une femme est même sortie de la foule pour aller serrer la main du policier qui menait la garde. On a tourné en rond autour du Capitole, et puis c'était fini. Pas de grands faits héroïques, juste le nécessaire plaisir de se savoir si nombreux, et si déterminés. Ca faisait du bien d'être là. Physiquement.

Alors, je ne sais pas si les progressistes sont en train de redécouvrir les vertus du militantisme de terrain et de lâcher les pétitions en ligne, comme ça se murmure. Je ne sais pas si cette belle vague de solidarité se maintiendra longtemps, assez pour que le Congrès change de bord dans deux ans, si les marcheurs d'aujourd'hui seront vraiment les activistes de demain, ni si le mouvement saura garder à la fois sa chouette radicalité et son appel à de larges populations. Mais bordel, qu'est-ce que j'ai envie d'en être.



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