mercredi, décembre 14, 2016

Homecoming week

So it was homecoming week. Pour célébrer l'école et l'esprit qui nous unit tous, profs comme élèves tombent l'uniforme pour adopter un thème vestimentaire différent chaque jour : années 70, super-héros, tenue de nuit... La participation n'est pas obligatoire, mais plusieurs collègues masculins sont tellement contents d'abandonner la cravate qu'ils viendraient en slip de bain s'il le fallait. L'ambiance est joyeuse, colorée. Ca occasionne évidemment des situations assez cocasses. Qui ne s'est jamais retrouvé en kimono à fleurs à aider un gosse de cinquième en pyjama à travailler sur les pronoms, celui-là ne sait pas ce que c'est qu'enseigner. Et mon cher N. a fait tous ses conseils de classe avec un déguisement différent : hippie, superhéros, basketteur... 

Le plus fort, c'est que rien de tout cela ne perturbe les cours. Les gamins ont l'habitude, ça les fait sourire, mais on est là pour bosser. Et puis il y a le prix : à chaque chouette costume, à chaque participation à la décoration d'une salle ou à un tournoi sportif, les élèves gagnent un jeton. A la fin de la semaine, la classe qui a le plus de jetons gagne une journée de desserts gratuits à un food truck local. Il faut savoir que chaque récompense scolaire consiste en gros à distribuer de la bouffe à l'oeil, ce qui choque beaucoup les Français. Il y a quelque chose de stupéfiant dans ce manque d'imagination, ainsi que dans cet aveuglement diététique, nous qui vivons dans le 10e état de l'Union en termes d'obésité (32,4% de la population, quand même).

Le vendredi, on nous avait prévenus qu'il y avait un show à l'américaine, et que c'était à voir, au moins une fois. On n'a pas été déçus : le millier d'élèves que compte l'école était là, de la maternelle au bac, assis dans un gymnase, agitant des pompons dorés et chauffé à blanc par l'excitation. Un lycéen particulièrement intrépide (que nous envions, nous autres Français, cette aisance des Américains à parler en public !) a fait l'animation pendant une heure. On a applaudi les basketteurs et les footballeuses, assisté à un petit spectacle des danseuses, à un concert du jazz band puis de l'orchestre et surtout hurlé « yeah » à chaque fois que l'animateur nous demandait si on était là. Pour finir, des cheerleaders court vêtues ont effectué une petite chorégraphie et utilisé des canons à paillettes, qui sont gracieusement retombées sur la foule en délire. J'étais assez contente de ne pas avoir cours juste après, parce que ramener des cinquièmes à l'étude du roman de chevalerie après ça...


C'est une des grandes forces des écoles et universités américaines, a fortiori privées, cet esprit de communauté, d'appartenance à un groupe éducatif qui inclut parents, personnels, et parfois très anciens élèves. C'est probablement logique, dans un territoire si énorme, où la solidarité nationale ou d'état ne signifie pas grand-chose : on se rabat sur l'identité au sein de l'entreprise, de l'église, de l'école. Les adultes flairent le piège, y voient tout de suite le sceau département Relations Publiques qui cherche à vendre une scolarité chez nous. C'est vrai, et ce n'est pas tout à fait juste à la fois : les gamins semblent vraiment heureux de se sentir des racines, de voir une équipe de profs travaillant en étroite collaboration avec leurs parents, et de vivre des rituels qui marquent les différentes étapes de leur adolescence. Si j'ai des enfants un jour, je serai contente qu'ils grandissent dans cette atmosphère-là.  

mardi, novembre 29, 2016

Thanksgiving

C'est peu de dire que la fête de Thanksgiving était redoutée, cette année. Après l'élection du Gros Orange, plusieurs journaux américains ont prodigué des conseils pour éviter de s'écharper en famille autour de la dinde rituellement sacrifiée. Pour nous, c'était l'occasion de partir vers le Nord, chez les parents de N, et d'avoir quatre jours de vrai automne avec du froid et de la pluie dedans. Mais on n'était pas sûrs-sûrs de la couleur du vote côté mère et beau-père, et on appréhendait quand même le séjour coincés au milieu de la campagne quasi-canadienne.

La première bouffée d'air frais, c'est le caractère libéral et placide de l'Etat de Washington. Non seulement la marijuana y est en vente absolument libre, à partir du moment où on a plus de 21 ans, mais c'est aussi un des premiers Etats d'où sont parties les revendications pour le mariage gay, dès 1971. Little Saigon, à Seattle, affiche ses noms de rue en anglais et en vietnamien. Normal. Personne ne trouve rien à y redire. J'imagine le nombre d'infarctus si d'aventure on essayait de rédiger pareils panneaux en arabe à Barbès, ou en espagnol au Texas. Nos amis locaux plaisantent de la coolitude ambiante : toutes les augmentations d'impôts proposées au vote passent, y compris celle qui fera payer mille dollars de plus par an à chaque famille pour le nouveau métro. Et de fait, il y a quelque chose de vraiment reposant à circuler dans un coin où tout le monde fout la paix à chacun. En rentrant, un message de mon asso féministe texane m'indiquera qu'une loi que nous redoutions a été votée ; elle oblige les femmes victimes de fausse couche, ou ayant recours à l'avortement, à procéder à l'enterrement du fœtus. Avec toute la douleur, et la culpabilité, que ça implique. Décidément pas le même monde.

Ce furent quatre jours de lecture, de sommeil, de rires et de gavage méthodique. Quatre jours ô combien bénéfiques, dans cette atmosphère pesante de profonde fracture idéologique. A se demander comment ce petit monde va pouvoir un jour se réconcilier : l'Amérique rurale et l'Amérique urbaine, l'Amérique aux mœurs libérales et l'Amérique ultra-conservatrice, les intellos salariés et ceux qui n'ont pas ni boulot ni diplôme. Au Texas, l'atmosphère est parfois explosive.

Finalement, les beaux-parents n'ont pas voté. Ils vomissent Trump presque autant que nous et, bien qu'ils profèrent quelques paroles anti-immigration de temps en temps, on arrive à s'entendre sur son sexisme et la stupidité de ses promesses. Il y aura même une bonne surprise lors de ce séjour : la mère de N, jadis très religieuse, m'a expliqué croire en Dieu mais en aucune institution chrétienne, et s'est même lancée dans une critique historique de la Bible comme document écrit par l'Homme. N n'en revenait pas. C'est peut-être là l'effet positif de cette élection, il faut en tout cas l'espérer : ramener des conservateurs à peu près raisonnables du côté de l'humanisme.  

dimanche, novembre 13, 2016

Un samedi 12 novembre en Amérique

Il est entendu que ce sont de sales temps pour les progressistes.

Il y a aussi un sentiment d'impuissance assez dévastateur à se trouver ainsi dans l'entre-deux, expatriée dont la vie quotidienne souffrira bien plus de cette élection-ci que de celle de mai 2017, mais n'ayant pas encore le droit de vote américain. Je n'ai pourtant pas envie de m'étendre sur la rage, les larmes et l'incrédulité par lesquelles on est tous passés. Au lieu de cela, je vais faire ce que je fais d'habitude : raconter l'Amérique à laquelle je suis confrontée, et la place que je tente d'y trouver.

Samedi matin, je m'étais inscrite auprès d'une asso pour accompagner les femmes désirant avorter à la women's clinic, la seule à la ronde pour des dizaines de Texanes vivant à la campagne. Je m'attendais à une foule de Trump supporters énergisés par leur victoire de mardi ; à 7H du matin, à l'ouverture, il n'y a qu'un gars d'une cinquantaine d'années portant une pancarte "Don't do it" et marmonnant des trucs inintelligibles. En revanche, devant la porte de clinique, il y a déjà la queue. Noires, Hispaniques et même femmes voilées, assez rares ici, forment l'essentiel de ce cortège qui attend, tête baissée. Les trois autres manifestants pro-life qui arriveront dans la matinée seront tous des hommes, Blancs, et un seul aura moins de quarante ans. 


Notre job de bénévoles est d'escorter les femmes à travers la foule hostile, quand foule il y a, et de les aider à trouver où se garer. Eh oui : à une cinquantaine de rendez-vous par jour, tous assurés par le même médecin, six jours par semaine, le petit parking de la clinique est vite saturé. Plusieurs commerces du coin sont connus pour appeler la fourrière dans l'heure si vous vous garez chez eux. Je n'ose imaginer l'état d'esprit d'une femme qui sort d'une opération difficile, que personne n'effectue de gaieté de coeur, et qui n'a plus de véhicule pour rentrer se reposer chez soi. 

R..., la chef des bénévoles ce matin-là, me montre comment faire et me dit "Do you want to try?" au bout de dix minutes. Le premier couple m'accepte dans sa voiture, et je leur indique une place sans danger d'enlèvement. On discute un peu. Ils sont vraiment jeunes, sympathiques, et secouent la tête en me disant qu'un pro-life a essayé de leur tendre un prospectus. Je dois expliquer qu'ils ont le droit constitutionnel de s'exprimer, mais pas de les toucher ni de les empêcher d'entrer, et qu'on est là pour s'en assurer. Je les fais rentrer par l'arrière de la clinique, où se trouve juste le jeune mec chelou, avec son panneau "I will adopt ! Let's talk". Tout ça se passe bien.

Le deuxième couple qui m'embarque dans sa voiture est plus difficile à gérer. Lorsque je claque ma portière, seul l'homme sort et discute avec moi. La femme est vêtue de noir, porte des lunettes de soleil et semble très affaiblie. Elle nous suit lentement jusqu'à la clinique, trois mètres derrière, et à l'approche du bâtiment son ami prend un air effrayé : "Ils ne vont quand même pas essayer de nous parler, si ?" Si. Ma tâche consiste à vous dire de ne pas les regarder, de ne pas leur répondre et de me suivre, pour minimiser les désagréments. Quand je raconte ça à R, elle me dit "Tu verrais quand les Catholiques sont là. Ils arrivent à trente, avec la statue de la Vierge et du petit Jésus, et parfois ils ont des bébés dans les bras."

Elle m'explique ensuite ce que prévoit la loi texane pour celles qui osent vouloir disposer de leur corps. Il faut deux rendez-vous, tous deux obligatoirement avec le seul et unique médecin, et ils ne peuvent avoir lieu le même jour. Lors du premier, on te fait regarder l'échographie, et on te montre une vidéo récapitulant des différentes étapes de développement du foetus, et listant les alternatives à l'avortement. Cerise sur le gâteau, on utilise une enquête montrant une diminution du risque de cancer du sein pour les femmes allaitantes pour te dire que, comme tu ne vas pas allaiter si tu n'es pas enceinte, l'avortement augmente les risques de cancer du sein. Le médecin a l'obligation légale de montrer la vidéo, même s'il peut dire "Je suis un professionnel de santé et je ne suis pas d'accord avec ce message" à la fin. J'imagine l'état de confusion mentale qui en résulte pour ces femmes, déjà bien éprouvées par leur situation. Tout cela est révoltant de cruauté et de bêtise. Et encore, le nouveau président n'a pas encore commencé à toucher à ce droit fondamental et fédéral, que le Texas essaie de rogner depuis des années.

Jusqu'à 10H, d'autres bénévoles féministes se succéderont. Il y aura deux lycéennes, une femme trans qui a vécu à Paris et sera ravie d'échanger quelques phrases en français, et même un homme qui, on ne se refait pas, prendra en charge l'intégralité de la circulation sur le parking. Ma matinée est finie. J'enchaînerai l'après-midi avec un petit rassemblement anti-Trump, et je reviendrai la semaine prochaine. Mardi soir, l'engagement a cessé d'être optionnel. Comptons-nous, retrouvons-nous pour protester à chacun de nos droits qui est menacé, et surtout préparons l'alternative. Les premiers déçus du Trumpisme ne devraient pas tarder : montrons-leur qu'au-delà de la liberté brandie à tout va aux US, la solidarité, c'est un bien joli mot, et une idée plus belle encore.

samedi, septembre 10, 2016

Here in Texas

On s'y laisserait bien prendre, à ce confort tout américain. Celui du logis, cent mètres carrés, chacun sa salle de bains, frigo gargantuesque, micro-ondes et lave-vaisselle inclus. Celui des toilettes propres partout et du service ultrasympa, même à la pizzeria graisseuse du coin de la rue. A se demander, d'ailleurs, pourquoi la vie parisienne est à ce point dépourvue de ces commodités-là. Celui du tout-bagnole, jamais mouillée jamais rien de lourd à porter en s'esquintant les mains dans les escaliers du métro. Celui enfin des conditions de travail, qui me donnent à la fois l'impression de travailler pour Google et de vivre dans une série type Melrose place.

Melrose place, parce que les petits sont polis, bien coiffés, qu'ils portent un uniforme et qu'ils ont presque tous une piscine à la maison. Quand j'évoque la fréquence du prénom Mustafa en terres orientales (on étudie Les mille et une nuits), un minot de douze ans acquiesce et dit que son chauffeur, en Syrie, s'appelait comme ça. Quand ils ne trouvent pas le livre papier au magasin de l'école, ils me demandent s'ils peuvent amener leur kindle ou leur i-pad en classe la prochaine fois, comme je préfère, ils ont tous les deux.

Google, pour la culture d'entreprise. On est encouragés à donner à l'école, des sous ou du temps pour emmener des gosses au zoo le samedi. Il y a même un jour où porter le tee-shirt au logo de l'école (7,5$) pour montrer notre « pride ». Et l'école nous donne en retour : lunch confectionné par un French chef, cours de langues à prix cassés, pâtisseries pour les meetings et les anniversaires (en gros, plusieurs fois par semaine), book club, amateurs de cuisine du monde qui se retrouvent chaque mois... Les conditions de travail sont très bonnes : jamais plus de vingt gamins (tout gentils) par classe, profusion de technologie, photocopies couleur illimitées, bref de quoi faire pâlir d'envie n'importe quel ex-collègue du 9-3. Et comme chez Google, on bosse beaucoup, fréquemment sous pression.

C'est une autre vie que celle que j'ai menée à Paris, et une autre vie encore que mes quelques mois en Californie. Une vie prise dans la gestion du quotidien, où nous sommes littéralement aspirés par les contraintes matérielles : appart à meubler et vêtements de working girl à acheter, cours à préparer jusque tard le soir. Peu de distractions, parce qu'on ne connaît personne en-dehors de l'école et parce que la ville se couche tôt. Tout cela est provisoire, on le sait bien, mais la toute nouvelle identité qu'on avait réussi à se fabriquer en Californie chancelle à nouveau. Cent fois sur le métier remets ton ouvrage...

La question du sens de ce que l'on fait de soi-même, et du temps qui nous est donné à vivre, se pose aussi différemment. J'avais choisi d'enseigner, parce qu'avec la confiance et la connaissance on déplace des montagnes. J'avais choisi le français, parce que la langue est le véhicule de la pensée, que ce qui ce conçoit aisément s'énonce clairement, qu'au commencement était le verbe, tout ça. Parce qu'elle est la condition d'accès à toutes les autres disciplines, et parce que la littérature est accès à l'Autre, cheminement vers l'empathie. Logiquement, les gamins défavorisés et les migrants s'étaient imposés comme une évidence à mon esprit militant.

Ici, le français n'est qu'une langue étrangère parmi d'autres -et pas la plus facile. Il est outil de distinction sociale, ou refuge d'expatriés auto-ghettoïsés. Les gosses auxquels j'enseigne sont mignons, reconnaissants, et à titre individuel bien sûr qu'un prof peut tout illuminer dans la tête d'un ado, but who am I kidding ? Concrètement, au quotidien, je participe au renforcement des inégalités sociales. Je vous jure que c'est pas facile à avaler comme changement de carrière. Tous les deux, avec mon Américain préféré, on se dit qu'on est des infiltrés, des gauchistes féministes athées végétariens qui feront entendre une voix dissonante à ces petits cerveaux en formation. On sait jamais, s'ils deviennent DRH, politiciens ou traders, ils feront peut-être leur job d'une façon plus humaine. Mais c'est une lutte quotidienne.

J'essaie aussi de me rappeler que le confort matériel n'est pas la clef du bonheur, et qu'il y a sûrement des ados en souffrance psychique parmi nos élèves. Peut-être que le fait d'exister à l'école et d'y être reconnu peut les sauver. Peut-être qu'il y a moyen pour nous de se sentir davantage qu'un employé anonyme payé par des familles-clientes qui veulent des résultats. Only time will tell.

Quand même, wish me luck.

dimanche, juillet 24, 2016

Moving in, and out, and in again

Deux à trois mois : c'est le temps qu'il me faut généralement pour me sentir chez moi quelque part, pour prendre mes habitudes locales et pour rencontrer suffisamment de potentielles sources de chaleur humaine. C'est exactement ce que j'ai réussi à faire ici en Californie, où j'ai ma plage préférée, mon supermarché cool-bobo-bio-local préféré, mes activités du mardi matin, jeudi soir et vendredi après-midi soigneusement réglées. Et c'est aussi ce que je m'apprête à recommencer à zéro, au Texas, dans moins d'une semaine.

Il ne serait pas juste de dire que je suis seulement triste de partir. Après tout, je commence à être habituée aux tournées d'adieu, et je savais depuis le début que mon séjour californien serait provisoire. Et puis l'aventure à venir est assez excitante. Si j'ai hâte de retrouver une vie active avec des élèves dedans, je suis aussi très curieuse de voir à quoi ressemble ma future ville d'adoption. Tout le monde m'a tellement dit de mal de Houston, sa jungle urbaine ses steaks houses ses mégachurches son climat étouffant, que je suis déterminée à l'aimer. Esprit de contradiction oblige.

Chercher un appart' à Houston est assez déconcertant. Le marché est tellement fluide, et les protections envers les locataires qui auraient ne seraient-ce que trois jours de loyer de retard tellement inexistantes, qu'il est assez facile de trouver à se loger. Nous comptons une semaine pour trouver, signer et emménager. Totalement surréaliste pour qui vient de Paris, ou même den'importe quel petit bled californien où il faut quasiment rédiger une lettre de motivation pour pouvoir louer le petit pavillon de centre-ville qui vous a tapé dans l'oeil. 

Ensuite, pour trouver votre quartier de prédilection dans cette ville tentaculaire, des sites internet mettent à disposition une compilation de données, neighborhood par neighborhood. Et ça file le vertige : non seulement on peut savoir le revenu moyen, l'âge moyen et la taille du foyer moyen de ses futurs voisins, mais aussi leur appartenance ethnique, leur temps de trajet domicile/travail et leur nombre d'heures de sommeil par nuit ! Entre me récrier prioritairement contre ce fichage minutieux des citoyens et protester viscéralement contre ce formidable outil pour éviter toute mixité sociale, j'hésite encore. Nous avions innocemment choisi nos deux quartiers préférés en fonction de leur proximité avec l'école, le « centre ville » (qui ne veut pas dire grand-chose là-bas), un parc et une rivière. En plein dans le mille : les résidents en sont majoritairement blancs, 35 ans en moyenne, beaucoup de célibataires et de familles d'un ou deux enfants, revenus comparables aux nôtres. Force est de constater que, même sans données bigbrotheresques à l'appui, on s'assemble avec ceux qui nous ressemblent.

Ma rentrée scolaire s'annonce elle aussi franchement différente de tout ce que j'ai pu connaître en France. Déjà, on me donne plein de sous pour acheter de nouveaux meubles, et on me paie six nuits d'hôtels le temps que je trouve un logement. Ca change de mes années TZR (titulaire d'une zone de remplacement) où on m'appelait parfois trois semaines après la rentrée, pour me dire qu'il fallait aller là le lendemain, oui c'est loin et ah vous n'avez pas de voiture, ben tant pis. On m'a aussi envoyé tous les documents administratifs à l'avance, y compris ceux pour passer le permis de conduire et ouvrir un compte en banque, et un « petit guide de survie culinaire aux USA », charmante attention. La liste des documents et activités faits en classe, que m'a gentiment envoyée une collègue, fait plus du double de ce que je réussissais à caler en une année dans le 93. 

Mais le meilleur est pour la fin : avant de pouvoir approcher la moindre tête blonde, je dois remplir un test en ligne sur la prédation sexuelle et le repérage des comportements potentiellement pédophiles. Soit trois bonnes heures de vidéos, témoignages d'agresseurs-ses et statistiques diverses, accompagnées d'un quiz à la fin de chaque cours. N. avait dû faire la même chose concernant les relations appropriées entre prof et étudiant il y a quelques mois. Il faut dire qu'ici, le « college rape » a longtemps été quelque chose de l'ordre du sport national, et que ça n'est pas franchement fini.

So, il est Houston-7 jours, et j'ai l'impression que les histoires flokloriques ne font que commencer. More to come soon:-)

jeudi, juillet 07, 2016

4th of July

...ou fête nationale, fête de l'indépendance, ou plus exactement fête du moment où tous les délégués des différents états américains ont réussi à se mettre d'accord sur une formulation commune de déclaration d'indépendance. 

C'est peu dire que la journée est propice aux marques de patriotisme. Pour moi, immigrée de fraîche date, il était impensable de laisser passer la journée sans assister aux manifestations culturelles typiques. On a donc commencé la matinée avec la traditionnelle parade (mais The world's shortest parade, seulement deux pâtés de maison, faut pas déconner non plus). Il y a de tout : des écoles de sport qui font défiler des pom-pom girls ou des gamins hurlant que le base-ball, c'est génial, des voitures de collection habillées pour l'occasion, des professionnels qui en profitent pour faire leur pub, de simples particuliers revêtus de bleu-blanc-rouge.



Mais ce que j'ai préféré, ce sont encore les spectateurs du défilé :



Fuyant la propagande évangélique qui voulait nos offrir des hotdogs et des boissons fraîches (Nous ne consommons ni viande ni religion !), nous sommes allés passer l'après-midi à Elkhorn slough, spot magnifique pour se balader en kayak parmi les loutres de mer, les phoques et les pélicans. Il n'y a là guère de photos, pas parce que je n'ai pas osé risquer la vie de mon téléphone portable en le maintenant coincé entre mon pull et mon gilet de sauvetage, mais parce que ledit téléphone portable a un zoom pourri (et a risqué sa vie en vain, donc). 

Le soir, rebelote patriotique : concert et feu d'artifice à Scott's valley, à quelques kilomètres de la maison. Premier sujet d'étonnement : il faut payer 8 dollars l'entrée, car le parc n'est pas prêté par la ville aux différentes organisations, mais loué. Le groupe reggae-rock qui se produit est formé de profs et coachs du lycée de la ville, et n'est pas mauvais mais, sans doute parce que je ne suis pas née ici et que je ne crois pas que les USA ont inventé la liberté, leurs paroles du style "Ne laisse personne te détourner de ce que tu aimes", "Tu peux devenir ce que tu veux", "Continue à faire la fête, ceci est un pays libre" m'agacent lentement, mais sûrement. Je ne suis pas la seule à faire de l'ironie : notre ami Tom, apercevant cette énorme voiture toute pavoisée, s'exclamera : "Les soldats américains ont donc perdu la vie en Irak et Afghanistan pour que nous, citoyens, puissions remplir le réservoir de nos 4x4".

Toutes les variations du mot "liberté" sont sur les tee-shirts, les voitures, les chapeaux : "free at last!", "Land of freedom", "Land of the free"... Je me rappelle, non sans sourire, que les médias parlent toujours d'élire "The leader of the free world" en novembre. Les Etats-Unis exportent la liberté et la démocratie, puisqu'on vous le dit. 

Les bières, pourtant interdites de consommation dans les lieux publics, coulent à flots, et la traditionnelle "apple pie" est servie à la chaîne. Une chanteuse professionnelle prend ensuite le relais du groupe de profs, et entonne un hymne américain façon gospel à vous donner la chair de poule. Les festivités se terminent par un feu d'artifice. Beaucoup de communes y ont renoncé, à cause du coût et des risques d'incendies, très forts en cette période de l'année. L'inconvénient de Scott's valley, c'est que comme la majorité des villes du bord de mer, le brouillard y est fréquent mais imprévisible. Le feu d'artifice a donné à peu près ça :


C'était mon premier quatre-juillet, peut-être le dernier avant un moment, pour cause de retour probable en France lors des congés d'été, mais c'était instructif. Et honnêtement, valeurs pour valeurs, je ne sais pas si je ne préfère pas le délire pro-freedom de mon pays d'adoption aux défilés militaires de ma contrée natale.

mardi, juin 28, 2016

Ce qui n'appartient qu'à la Californie

J'ai déjà longuement décrit, de vive voix et dans ce blog quasi-confidentiel, mon quotidien d'expatriée volontaire, tantôt amusée et tantôt affligée, parfois nostalgique, souvent paumée, toujours à cheval entre deux mondes. Je m'aperçois qu'une grande partie de ce que j'ai pu dire ou écrire relève de l'inadaptation du migrant, et pourrait finalement être ressenti par pas mal de gens sous d'autres latitudes, dans des sociétés humaines bien différentes. Aujourd'hui, assise sur ma terrasse en pleine forêt, un geai bleu voletant en face de moi, j'ai envie de parler de ce qui est spécifique à la Californie, et qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans ce pays. Pour être vraiment rigoureuse, d'ailleurs, je dois préciser qu'il s'agit de la Californie du Nord, dans un rayon de 250km autour de San Francisco, à peu près. Santa Barbara, Los Angeles, San Diego, c'est encore un autre état d'esprit.

La Californie du Nord, c'est d'abord la contrée des liberals. A ne pas comprendre comme en français, où l'on visualise tout de suite Nadine Morano ou Frédéric Lefebvre, ainsi que leur cortège de dérégulations. Non, ici, les libéraux sont des progressistes. Les couples homos sont très bien intégrés, il n'est pas rare de croiser des transsexuels à San Francisco, se reproduire n'est d'ailleurs pas obligatoire pour être validé socialement, et avoir tatouages visibles et cheveux bleus n'empêche personne de devenir caissier au supermarché du coin. C'est comme-tu-veux, c'est ta vie. A Santa Cruz, il y a même un nombre non négligeable de néo-hippies qui se baladent pieds nus et vendent de petits objets à même le trottoir, ou jouent de la musique pour gagner quelques sous. Beaucoup de SDF venus de tout le pays choisissent d'ailleurs de rester ici, car la Californie est l'un des états où il existe une vraie politique d'aide aux sans-abris. Les soutiens de Trump, car il y en a, s'expriment peu en public, tellement ils sont rares. 

Tout cela rend les Californiens assez fiers d'eux-mêmes, et parfois un chouïa méprisants avec le reste des USA. Les bouches se pincent, les regards se font désolés quand je dis que je déménage au Texas dans un mois. Le Texas, ce sont les rednecks, les conservateurs anti-avortement, les porteurs d'armes à feu, presque Néanderthal, quoi. Mais enfin, quand on quitte ce séjour béni des dieux, à quoi s'attendre sinon à un choc culturel ?

La question de la race, si centrale au modèle américain, est ici plutôt moins prégnante qu'ailleurs. Peut-être parce que beaucoup de migrants sont qualifiés et viennent travailler pour la Silicon Valley. Peut-être parce que beaucoup sont Européens, donc en majorité Blancs, et que les descendants de Chinois, Vietnamiens ou Coréens réussissent particulièrement bien à l'université. J'ai bien entendu des commentaires désagréables sur les Indiens, qui vivent souvent en communauté, mais les vraies victimes du racisme décomplexé, ce sont les Mexicains. Nounous pour les femmes, bâtisseurs multitâches pour les hommes, ramasseurs de fraises à la main sous un soleil brûlant pour les deux : l'imaginaire local ne va pas beaucoup plus loin. Ils sont relégués dans des quartiers ou parfois des villes-ghettos, où l'Américain moyen a du mal à réprimer un sentiment d'insécurité. 

J'ai cherché un groupe sur internet pour pratiquer mon espagnol ; je n'en ai pas trouvé, alors que j'ai intégré deux groupes francophiles. Le français, c'est la langue de la bonne cuisine, de la mode, de la culture : ça fait chic. L'espagnol, c'est la langue de la serveuse de fast-food ou du dealer. Personne n'a envie de cultiver cette image de soi-même.

La Californie du Nord, c'est aussi une nature à couper le souffle. Littéralement. Des canyons et chutes d'eau de Yosemite à la spectaculaire Highway One, l'Européen prend sa dose d'espaces immenses et de végétation à perte de vue. Même la grande ville qu'est San Francisco ne l'est pas tant que ça : 800 000 habitants, quand sa presque voisine San José en compte presque un million. Les trottoirs y sont larges, et on trouve facilement des quartiers résidentiels si calmes et ombragés qu'on a du mal à croire qu'on est toujours à SF. En revanche, le coût de la vie y est tel que la classe moyenne est progressivement chassée de la ville, doit vivre dans des banlieues-dortoirs hors de prix, et que la communauté hispanique de Mission, la plus précarisée, a du mal à trouver des profs pour ses enfants, car les salaires ne leur permettent pas de vivre à moins de 2H de leur école. Une amie éducatrice m'a confié que si elle se séparait de son mari, qui travaille pour la tech industry, elle ne pourrait se payer qu'un mobil-home avec son seul salaire. Et elle vit à Santa Cruz, petit ville côtière sans prétention, pas à Palo Alto ni à Palm Springs.


Terminons sur une note positive : je crois bien que, plus jamais de ma vie, je n'aurai l'occasion de voir tant d'animaux sauvages dans un si petit périmètre. Cerfs, chipmunks, raton-laveurs, coyotes, serpent à sonnette, loutres, otaries, phoques, éléphants de mer, et toujours ces fameux lynx et pumas qui font exprès de se cacher mais qui rôdent tout près, on le sait. Maigre consolation : au Texas, en-dehors des mygales, des alligators et des serpents tricolores, il y a des tatous, ce petit animal préhistorique à la longue queue. Peut-être même que j'en posterai des photos ici.

vendredi, juin 03, 2016

Ambassade story

Le rendez-vous à la préfecture était fixé depuis deux mois, le 26 avril à 13H. Et depuis deux mois, cette date clignote dans mon esprit, ne pas oublier les papiers, les photos, le dossier médical, les détails de la vie de Nick que je donnerai comme « preuve de relation ». Quelques jours avant, il faut se faire contrôler les poumons et le sang, par des médecins hors de prix : les Etats-Unis semblent ne pas avoir confiance en le docteur français lambda pour leur assurer que je n'ai ni tuberculose, ni syphillis, et que tous mes vaccins sont à jour. 250 euros, tout de même, qui s'ajoutent aux 500 et quelques versés depuis le début du processus, ça fait mal. Quid des Français peu aisés qui voudraient émigrer ? J'imagine que ceux-là, l'Amérique n'en veut pas vraiment, de toutes façons.

Le jour J, je dépose mes affaires à la consigne de Montparnasse, pour récupérer un train du soir, et je file dans le 8e. L'ambassade est juste à côté de l'Elysée, comme si le fil qui reliait Hollande à Obama ne pouvait être coupé, ne serait-ce qu'un instant. J'ai 35mn d'avance. Je vais voir le gardien, espérant être la première et pouvoir en finir assez vite. « On ne rentre qu'à 12H55 ». « Vous avez un ordinateur portable ? Ils sont interdits, et on ne peut pas les garder au poste de sécurité. Vous pouvez aller voir les commerces, trouver quelqu'un qui va vous le garder. » 

Je jette un coup d'oeil aux hôtels de luxe et autres restaurants pour gourmets de la rue adjacente. Est-ce que je peux franchement espérer trouver quelqu'un qui va garder mon ordi ? J'entre dans le premier hôtel, où ma tenue contraste violemment avec le chic de tous les autres clients. On m'indique poliment, mais froidement, un petit hôtel familial qui accepte de jouer les consignes pour cinq euros. Ils ont du monde tous les jours, me disent-ils, et aident une femme à remplir son dossier d'immigration au moment où j'entre chez eux. Pourquoi l'ambassade ne peut-elle pas dire clairement sur ses courriers qu'il faut se débarrasser des portables, je me le demande. Toujours est-il qu'il est 12H55 quand je reviens, et qu'il y a maintenant 14 personnes devant moi.

On vérifie tous mes papiers, y compris mon casier judiciaire, avant de me laisser entrer. La pièce est très grande, carrée, et nous devons attendre debout entre des rangées de cordes. J'ai une pensée émue pour les deux petites mamies devant moi. Chaque vérification de dossier est longue, très longue. Je commence à discuter avec la fille devant moi, dotée d'un petit accent venu d'Afrique. « Tu es déjà mariée ? Moi je suis fiancée. J'avais un rendez-vous la semaine dernière, et il manquait un papier. Ils m'ont donné un deuxième rendez-vous huit jours après, juste pour ça ! » Nous râlons ensemble, que c'est long, que ça aurait été bien de mettre des chaises, quand même, et je lui dis que dix mois pour obtenir un visa en tant qu'épouse, visa conditionnel en plus, je trouve ça fou. « Ah mais ne te plains pas, moi ça fait déjà dix-huit mois, et on est séparés depuis tout ce temps ! » Effectivement. Pour l'égalité des chances, on repassera. 

Pendant que j'attends, transférant mon poids d'une jambe à l'autre pour éviter l'engourdissement, je compte les gens devant moi. Deux, trois : si tout va bien, je devrais passer avec la nana du premier guichet, qui a l'air beaucoup plus gentille que les autres. Et en effet, c'est elle qui me reçoit. Me demande ma nouvelle adresse, mes photocopies des documents qu'elle possède déjà. J'ai bien fait d'imprimer les trente pages de déclaration d'impôts du mari et du co-sponsor : elle prend tout. Puis me dit d'aller m'asseoir un peu plus loin, que le consul va maintenant me recevoir pour l'entretien. Oui, enfin, l'agent consulaire, me dis-je, car j'espère que le consul a mieux à faire que de recevoir des immigrants à la chaîne.

Au bout de vingt minutes, j'entends appeler « Blouenn Simone », et je me dirige vers le guichet 11. Je n'ai pas changé de pièce, et l'entretien que j'imaginais avoir lieu tranquillement dans un bureau, se déroulera à travers un hygiaphone, dans une pièce blindée de monde, et toujours debout. L'agent consulaire me demande des preuves de relation ; je lui tends notre album de mariage mais, évidemment, ça ne passe pas dans la petite fente sous l'hygiaphone. Je lui donne alors quelques photos imprimées sur papier, des factures à nos deux noms, prouvant qu'on a habité ensemble. Puis c'est le tour des questions. Je suis prête, j'ai révisé toutes les années de fac de Nick, à Seattle, à Paris, à Londres, en Californie, les demi-frères et demi-soeurs, son équipe de basket préférée, etc. 

Le mec me demande ensuite quand et comment nous nous sommes rencontrés, question immédiatement suivie de « when did you become romantic ? » Non seulement je trouve ça intrusif, mais il vit dans les années 50 ? La question suivante confirmera cette impression de questionnaire super daté : « how did he propose ? » Comment m'a-t-il fait sa demande en mariage ? Mais monsieur, nous sommes au XXIe siècle, et nous sommes tous deux féministes, nous ne considérons donc pas que ce soit à l'homme de faire une demande que la femme a le choix de refuser ! Bon, au lieu de ma petite tirade militante, je me contente de rire et de lui expliquer que ça ne s'est pas passé comme ça : on était pacsés, ça nous allait très bien, on a cherché un moyen de rester dans le même pays, et le mariage était le plus sûr, voilà. Il lève ses yeux de son écran : « and you are ok with that ? » Oui, je réponds, je n'ai jamais particulièrement voulu me marier, c'est être avec lui qui m'intéressait. Il tape fidèlement ce que je lui ai dit. Plus tard, j'aurai un doute : est-ce que je n'ai pas compromis mes chances avec un discours aussi franc ? N. me dira d'ailleurs, « Woah, il ne doit pas avoir l'habitude d'entendre ce genre de choses ! » 

Une dernière question, sur la date de son anniversaire et sur ce que je lui ai offert, puis le gars me dit « Je vois qu'il manque l'original du formulaire I-384, c'est bien ça ? » Mon sang se glace. J'ai tellement tout bien lu la liste de documents, en français et en anglais, il ne peut pas manquer quoi que ce soit. « Je ne suis au courant de rien de tel », réponds-je. Il me montre un dossier vieux de trois mois où c'est cerclé de rouge. Seulement, quand le service nous a dit qu'il manquait un document, ce n'est pas celui-là qu'ils ont mentionné, mais un truc qu'on savait pertinemment avoir envoyé, et que j'avais ramené au cas où. Ils se sont donc plantés de case en cochant ce qu'il manquait. Le gars me dit, « bien, il suffit de faire envoyer ça des USA et votre dossier est complet ». Je pâlis. La dernière fois, il nous avait fallu deux semaines pour recevoir l'acte de naissance de Nick en France. Sans compter qu'on est en période d'Ascension et de Pentecôte, que la personne qui a cet original, notre co-sponsor, voyage beaucoup pour son boulot et ne pourra peut-être pas le poster avant des semaines... 

Tout ça pour ça. Tout ce stress pour poireauter peut-être des mois en France, alors que j'aurais pu régler ce problème en trois jours pendant que j'étais aux USA. Si seulement j'avais su. Et mon mari que je ne vais pas voir pendant tout ce temps, mon futur employeur qui attend mes papiers, mes parents qui ont réservé un billet d'avion pour juin alors que je ne serai peut-être même pas là... Je sens que je me décompose, que quelques larmes m'échappent. « What's the matter ? » s'écrie l'agent. Je lui explique. S'il voulait une preuve de relation, en voici une belle. Il essaie de me rassurer, de me dire que ça peut aller très vite, tout ça. Je sors épuisée, pas convaincue, découragée. L'agent de sécurité qui me voit défaite me demande ce qui se passe. « Il me manque un papier. » « Ah, un document qui n'était pas sur la liste, hein ! » Visiblement, il a l'habitude. Ca ne me rassure pas particulièrement.



Après trois semaines d'attente, un vol repoussé, cinq mails restés dans le vide, deux appels téléphoniques où on se bornait à me lire ce qui s'affichait aussi sur mon écran d'ordi, des heures d'anxiété et de conversations skype démoralisées avec mon cher et tendre, le passeport est arrivé dans la boîte aux lettres, sans crier gare. On m'avait certifié qu'on m'attribuerait un numéro de suivi dès que le passeport serait posté, et qu'ensuite ça prendrait un à trois jours. A une heure trente près, j'appelais pour décaler encore mon vol. Je m'étais déjà mise en tête que j'allais rester une semaine de plus, avais confirmé ma présence à une fête quatre jours plus tard et soudain, j'ai 36H pour mettre mes affaires en ordre et partir. Ce n'est vraiment pas la façon idéale de dire au revoir à son pays natal, à ses amis. Mais me voilà, résidente américaine, autorisée à travailler, à ouvrir un compte en banque, prête à me construire une nouvelle vie. Houston n'a qu'à bien se tenir.

mardi, avril 12, 2016

Le temps des habitudes.

Avec le temps vient, tout s'en vient. Une foultitude de petits riens. De petites miettes de choses familières, d'assurance gagnées sur l'angoisse de l'inconnu. Le trajet entre l'université et la maison, qu'on fait pour la première fois sans y penser, sans avoir eu besoin de jeter un œil au GPS. Les retours de plage, sable entre les doigts de pied, dans l'exacte lumière des après-midis d'été de mon enfance. Des conversations où on est contente d'avoir su exprimer des nuances dans un vocabulaire soutenu, même si ça passe totalement inaperçu auprès des anglophones blasés. Vient aussi le temps des premiers amis, aussi, des premiers thés pris avec un ersatz de pain au chocolat en parlant choc culturel, et de la première fête de départ d'un vague pote danois. Cette évidence : se sentir bien quelque part, c'est avant tout affaire de réseau. Il s'agit juste de trouver sa tribu.

Avec la confiance en soi, le regard évolue aussi. Si tout est différent, alors il faudra prendre le changement à bras-le-corps. Les Américains ont cette expression formidable : « you have to embrace it ». Difficilement traduisible : quelque chose entre « accueillir à bras ouverts  », « épouser pleinement », et « adopter (un nouveau comportement) ». C'est l'idée que tu dois te confronter à ta nouvelle réalité, l'accepter profondément. Pas vraiment de place pour la nostalgie ou l'auto-apitoiement. Et de fait, il est vrai que certaines habitudes exigent une attitude volontariste. Conduire, avec un code de la route exotique et des panneaux qui ne semblent pas faire sens. Faire les courses dans des supermarchés où l'oeil européen est noyé de références (25 marques de céréales, vraiment?) Accepter que de parfaits inconnus interrompent votre conversation pour s'en mêler, ou vous demander d'où vous venez. Parler anglais comme je parle français- du moins essayer.


La langue, même si elle m'occasionne (et m'occasionnera encore) bien des frustrations, commence à me devenir plus intime. Je commence à goûter la chair des mots, à toucher leur ossature. A percevoir l'image qu'ils projettent, sans m'en tenir au transvasement de sens depuis le français, ou à la froide rationnalité tirée du contexte, voire du dictionnaire. Glissement subtil que ce nouveau lien avec ma langue d'adoption, mais tellement émouvant. Comme en français, langue tant aimée et tant étudiée, dont je connais les pièges et les recoins sombres, je n'ai plus besoin de comprendre. Je sens les gros bouillons du sang qui gushes out of un personnage de roman blessé, et la gifle méprisante que s'administre le héros de Coetzee en se traitant de daft. 
Tout terme apprécié est ensuite testé, comme négligemment, dans une conversation, et ajouté à la liste des éléments qui constituent mon style. Chaque teste d'appropriation réussi est une vraie jubilation, une vraie fierté. Presque une conquête. Et je me dis que c'est peut-être là que se niche pour moi le sentiment d'appartenance à un lieu, à une culture : dans le plaisir des mots et de leur milliard de petites touches de couleur, de saveur, dans la poéticité du dire, dans le merveilleux pouvoir incantatoire de la langue.

jeudi, mars 24, 2016

Field trip.

IV.

Mercredi matin, 6H45. Fidèle à mon principe d'accepter toutes les sollicitations, et anticipant le fait que mon mec est parti pour deux jours avec la voiture, je me lève. J'ai accepté d'accompagner Melanie, copine de ma coloc, qui organise une sortie scolaire avec des CPs. Ses élèves sont 18, il y a plein de parents et on va à la plage. Ca devrait pas être trop dur. Et effectivement, à l'école, les petits ont l'air tout mignons. L'instit les appelle un par un pour leur coller une étiquette-prénom sur la poitrine : Jabez, Marcos, Raùl, Brisa, de temps en temps un petit Donovan ou une petite Alexia... On n'est plus à Santa Cruz ici, mais à Watsonville : c'est beaucoup plus pauvre, il y a même des gangs. C'est une des seules villes assez bon marché pour que la population d'origine mexicaine puisse se loger. Alors, même quand ils s'appellent Evelyn ou Jared, la plupart des élèves sont latinos. 

Un dernier tour aux toilettes, on prend le sac de pique-nique et zou, tous dans le beau bus jaune des séries américaines. Trois petites filles aux rubans fuchsia noués dans leurs longues tresses s'assoient côte à côte. Deux savent boucler leur ceinture, la troisième non. « Vous pouvez l'aider ?, me demande une maman. Je n'ai jamais été dans un bus avant. » Une autre maman a un tatouage dans le cou, et des lettres gravées à l'encre sur chaque doigt, façon mafia. Une petite fille d'environ six ans a même des dents métalliques, comme Joey Starr. Un autre monde, assurément.

A l'arrivée à la plage, une équipe de trois animateurs d'une association écolo est là pour nous accueillir. Dès leur première phrase, prononcée avec une joie antinaturelle au possible, « On va prendre un seau et ramasser des déchets ! », je me dis que ça sent l'arnaque, cette sortie. Mais je suis venue jusqu'ici, alors j'escalade la grande dune de sable comme tout le monde. Devant nous, l'océan pacifique et des vagues assez impressionnantes. Défense de s'approcher de l'eau. Les gamins furètent partout à la recherche de trucs à rapporter à la maîtresse. Ils sont enthousiastes, mais ne différencient pas très bien ordures et éléments naturels : des plumes, des morceaux de bois, des bébés méduses échoués atterrissent dans les seaux. Au bout d'une quinzaine de minutes, montée dramatique : une otarie morte est repérée sur le sable. Melanie doit dépenser pas mal d'énergie pour empêcher les gamins de tripatouiller la charogne recouverte de mouches. « On ne doit pas le toucher, il est mort, il pue. » « Il est mort parce qu'il pue ? », demande une petite fille. « C'est plutôt le contraire, chérie », répond-elle, impassible, alors que je rigole dans mon coin.

Plus j'observe l'instit, et plus je la trouve emblématique de l'éducation à l'américaine. Elle ne dit jamais non, mais « pas aujourd'hui » quand un enfant veut mettre les pieds dans l'eau, ou « ce n'est pas un bon choix » quand un autre essaie discrètement de partir vers la zone de pique-nique avant l'heure. Les enfants sont considérés comme des êtres à part entière, qui font des choix, comme s'asseoir gentiment dès l'entrée en classe, ou faire l'andouille à la place. Pas d'impératif, pas d' « écoutez-moi ! », mais plutôt « c'est vraiment un bon moment pour écouter ce que j'ai à vous dire ». C'est un vrai débat, ici. Il y a quelques années, une journaliste ayant vécu à Paris a gagné pas mal d'argent avec deux bouquins, « Les enfants français ne balancent pas leur nourriture » et « Bringing up Bébé ». La thèse, en gros, est que les Américains sont des « parents-hélicoptères » qui survolent leur gamin en permanence, ne lui laissant pas le temps de s'ennuyer et interrompant sans cesse leur vie d'adulte pour l'écouter. N'élevant jamais la voix, ils passeraient leur temps à comprendre pourquoi, au fond de lui, leur gamin de 18 mois a jeté sa purée par terre. 

Les Français, eux, gronderaient plus facilement leur progéniture, lui apprendraient à dire « bonjour » et « merci » de façon beaucoup plus systématique, et lui diraient d'aller jouer dans le jardin quand ils veulent boire un verre avec leurs amis. La comparaison est trop grossière pour être tout à fait honnête, mais je dois avouer que la seule maman que j'aie vu reprendre son fils qui courait dans les allées d'un supermarché, c'était une Italienne. Les petits Etats-Uniens, eux, jouent librement entre les rayons, slalomant entre les jambes des clients et flanquant des boîtes de céréales par terre. La culture mexicaine, elle, semble plus proche de la culture française ; quand Javier se roule dans la dune au lieu de remettre ses chaussures, sa mère lui dit sèchement : « Tu as entendu ta maîtresse, elle a dit que ce n'était pas un bon choix. Ca veut dire que tu fais quelque chose de mal. » Et de le ramener dans le droit chemin par le col de son manteau.

De l'autre côté, l'éducation à l'américaine est vraiment chouette dans sa façon de considérer les gosses, et de leur donner envie d'apprendre. Melanie a mis au point tout une sorte de petits gimmicks pour attirer l'attention des enfants, « If you can hear me, point to the floor. If you can hear me, point to the door », elle chante la phrase « j'en vois deux qui n'ont pas écouté ce que j'ai dit » quand des gamins partent cueillir des fleurs au lieu de venir colorier leurs albums. La petite Brisa, qui se colle à côté de nous pour déjeuner, n'ose pas répondre à nos questions, ni décrocher un mot face à deux adultes qu'elles ne connaît pas ; Melanie la rassure, « c'est parfaitement ok d'être timide sweetie ». J'imagine avec nostalgie ce que j'aurais pu faire d'un commentaire comme celui-là, la confiance que ça m'aurait donné, moi qui étais une môme quasi-mutique.

A 10H40, c'est déjà l'heure de manger. Le déjeuner, évidemment, est composé de deux sandwiches au beurre de cacahuète et à la confiture. Certains parents ont ajouté des chips, pour faire bonne mesure. Le packed lunch contient aussi des baby carottes en sachet, des raisins secs et des pommes : un bon tiers atterrissent dans le carton à surplus. Pendant la digestion, la maîtresse les incite à dessiner, voire écrire pour ceux qui peuvent, ce qu'ils ont vu pendant le matinée. Certains écrivent leur nom, inventent une grand-mère qui était avec eux pendant la sortie. D'autres veulent savoir, « Comment on écrit Garbage ? » et je me demande bien ce qu'ils auront retenu de leur exploration du bord de mer. Qu'il y a des détritus ? Des animaux en décomposition ?
 Melanie change d'activité très souvent. Elle explique qu'à cet âge, ils peuvent rester attentifs 7mn en moyenne. Moi qui trouvais fatigant de rythmer mes cours de seconde... Après un temps de jeux dans le sable, enterrer les pieds de la maîtresse, construire des châteaux avec des coquillages dessus, il est l'heure de rentrer. Mais pas avant d'avoir re-mangé un petit quelques chose, sandwich restant, gâteaux, lait chocolaté.

Dans le bus du retour, je suis vraiment contente d'avoir pu assister à ce moment de classe, malgré le ramassage de déchets à mains nues (les gants, c'était pour les petits). Par la vitre, je vois les immenses champs de fraises, les ouvriers latinos qui y suent, travailleurs pas chers et dociles. Et je me dis que leurs enfants, déjà bilingues et les yeux émerveillés des petits riens marins, sont peut-être assis à côté de moi. 

dimanche, mars 20, 2016

From California, with love. Part III.

III.

Il y a aussi des choses dont on parle moins, parce que c'est moins drôle, moins exotique, et que tout le monde vous imagine folle de bonheur, une planche de surf sous le bras, dans un décor baigné de soleil. La solitude, physique ou psychologique, est devenue un sentiment archiquotidien. Ici, il me faut assumer une grosse part d'étrangéité ; ne pas connaître les codes, mesurer attentivement ce qui se fait ou pas, mais toujours trop tard, avancer avec un accent bizarre, mêlé de britannique et de français, mais sûrement pas autochtone. Il était facile d'être celle qui parlait le mieux anglais tant que j'étais à Paris ; ici, au milieu d'Américains monoglottes, qui ne savent pas ralentir dans les explications techniques ou expliquer les références culturelles à l'étrangère de service, j'ai des moments de flottement. De longs moments. 

Me reviennent des timidités d'adolescence, patiemment camouflées sous le professionnalisme de l'enseignante. Je refuse d'être celle pour qui toute la conversation devra ralentir, celle qu'on écoutera poliment, mais un brin impatiemment quand même. Je rechigne à prendre la parole en public. Parfois même, je buggue. Je veux parler aussi vite et aussi bien qu'en français, avoir à la fois cette aisance dans le maniement des concepts et ce léger décalage humoristique qui font les conversations parisiennes, et je me prends magnifiquement les pieds dans le tapis. Trop tôt, trop maladroit. C'est tout une nouvelle identité qu'il va me falloir inventer.

Parfois, je panique. Mais qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai quitté la famille que je me suis choisie, c'est-à-dire mes amis, ma famille de sang aussi, un travail intéressant, la reconnaissance professionnelle, ma langue, à laquelle je suis si attachée, une ville que je connaissais depuis douze ans... Je dis à qui veut l'entendre que je suis partie par amour, et par goût de l'aventure, et que ce sont les plus belles raisons du monde, mais ces paroles bravaches ne suffisent pas toujours à calmer les angoisses qui couvent, façon feu mal éteint.

Toutes les nuits, je rêve en français. C'est le stratagème qu'a trouvé mon cerveau pour m'épargner un trop grand choc avec ma nouvelle réalité. Je passe ainsi mes nuits dans mon ancien lycée, dans des coulisses de théâtre, ou dans la maison de mon enfance. Tantôt, j'entame ma journée avec l'énergie de celle qui sait pouvoir compter sur une quantité raisonnable de gens qui l'aiment ; tantôt, c'est la nostalgie des affections lointaines et des possibles parisiens qui me plombe. Je me demande combien de temps il faut à un humain pour s'habituer à un environnement, et pour ressentir quelque chose qui s'apparenterait de près ou de loin à une routine.

jeudi, mars 10, 2016

From Californie, with love (part II)

II.

Alors que je termine ma troisième semaine d'expatriée oisive, je commence à prendre un rythme, à comprendre qu'il est possible de s'accorder cinq mois de repos et de plaisir sans culpabiliser, sans ressentir l'angoisse de l'agenda vide. Lire, écrire, retrouver la joie de cuisiner longuement un plat pour des gens qu'on aime. Laisser échapper des petits cris ravis en apercevant une maman loutre avec son bébé, ce qui me signale clairement comme touriste devant les locaux totalement blasés.

Mon amour renouvelé pour la cuisine est aussi une nécessité pratique. Il est tellement facile ici d'accumuler les calories ! Le moindre chocolat chaud vous est servi en 50cl, avec crème chantilly, copeaux de chocolat noir, et la dose recommandée de sucre pour 24H. Chaque salade, chaque poisson, chaque steak (que mes voisins de table consomment, pas moi) est recouvert d'une sauce épaisse. Grillé, sauté, poché : sans exhausteur de goût, c'est considéré comme fade. Les produits transformés sont partout, chips, pizzas, tacos, taquillas, burritos, fajitas, sodas à volonté, et vos colocataires s'étonnent que vous prépariez vous-même vos repas tous les jours. 

Je ne parle même pas du sandwich américain typique : une couche de beurre de cacahuètes, une couche de confiture, et on referme le pain. Du gras, du sucre, à peu près zéro vitamine ou nutriment. Je me fais silencieusement la promesse que mes futurs enfants n'auront jamais le même lunch que leurs camarades. Fun fact : je me suis amusée à calculer mon poids en livres, et ma taille en pieds. 130 livres pour 5,5 pieds. De quoi se motiver pour aller à la salle de sport tous les deux jours.

Autre mini-choc culturel : la Trivia night. Cela se passe au pub du coin, tous les mercredis : une vingtaine d'équipes, amis ou famille, se réunissent pour répondre à 31 questions de culture générale. Les vainqueurs gagnent une tournée. En France, j'étais championne à ce jeu-là. Littérature, histoire, géographie, politique, et même culture pop, j'enchaînais les bonnes réponses. Hier soir, je n'ai pu que regarder mes coéquipiers américains souffler « facile » en répondant à des questions sur le président des USA qui a aussi été chef de la CIA, sur l'auteur de l'hymne américain ou les mots qui terminent Gatsby le magnifique

C'est là que je réalise de plein fouet cette évidence: la culture, c'est éminemment relatif. Ma culture générale, si solide soit-elle, ne vaut pas grand-chose hors de France, où personne ne connaît Flaubert, Lucie Aubrac ou Jean Jaurès. Les rares questions auxquelles je peux répondre, tout le monde peut y répondre. Ma contribution personnelle se sera limitée à donner le nom du singe chapardeur dans le dessin animé Aladdin. Tu parles d'une gloire. Dès demain, c'est promis, j'écume internet à la recherche de L'Histoire américaine pour les nuls. Il faut bien commencer quelque part.

vendredi, mars 04, 2016

From California, with love


I.

C'est une drôle d'expérience que celle du temps distendu, qui s'étire entre tes doigts façon chewing-gum. Du temps gratuit, dont tu n'as à rendre compte à personne. Une sorte d'avance sur retraite, prise au milieu de la vie - dans ces temps difficiles, on ne sait jamais. Du temps à modeler : ça n'a pas de forme, juste celle que tu lui donneras, éventuellement. Tu as cinq mois pour faire quelque chose d'intelligent, de beau, d'inédit, de ta vie. Quelle pression.

Je dois très sincèrement me trouver dans une des plus belles régions qui soient mais, ironie du déraciné, je n'ai pas grand-monde avec qui la partager. Il faudra un jour que je m'interroge sur les raisons qui me font foutre le camp dès que j'ai acquis une certaine stabilité quelque part. En attendant, je vais à la plage seule, je me promène dans la forêt seule, je m'émerveille de voir des colibris et des petits lapins seule. J'épuise les lieux où je peux me rendre facilement, l'arboretum, le musée d'art et d'histoire, le spot où viennent frimer les meilleurs surfeurs.

Il faut dire que je n'ai pas encore gagné mon passeport pour l'indépendance, le permis de conduire californien. Vaguement traumatisée par mes trois échecs à la version française il y a presque vingt ans, je me répète ce que dit le manuel du conducteur local, «  The Department of Motor Vehicles wants you to pass ». Ma réussite au code de la route, quelques dix-sept heures après ma sortie de l'avion, m'autorise déjà à conduire avec Nick à mes côtés. Comme ça, sans leçons de conduite ni véhicule à double commande, les jeunes Américains sont lancés sur les routes. A seize ans. Au volant d'une voiture, moi, je suis désorientée. Je ne sais pas lire l'espace urbain américain. Les feux sont placés de l'autre côté de l'intersection, la priorité à droite n'existe pas, il y a souvent des choses écrites à même le sol, on se fait klaxonner pour ne pas avoir tourné à droite alors que le feu était rouge... Codes nouveaux, à étudier, à assimiler.

L'organisation de la ville est très peu verticale, pas de hautes tours dans la capitale des hippies, et l'espace disponible est immense. En comparaison, l'Europe paraît recroquevillée sur elle-même, maximisant ses zones constructibles et ses surfaces agricoles. Ici, les maisons n'ont pas nécessairement d'étage, mais une surface au sol équivalente à cinq salles de classe. Je marche sur des trottoirs ultralarges, je bois des thés dans des cups en carton trois fois trop grandes, j'ai acquis i-phone et i-pod, je suis connectée, un cliché vivant, les US c'est vraiment le pays du gigantisme.
TO BE CONTINUED...