C'est peu de dire que la
fête de Thanksgiving était redoutée, cette année. Après
l'élection du Gros Orange, plusieurs journaux américains ont
prodigué des conseils pour éviter de s'écharper en famille autour
de la dinde rituellement sacrifiée. Pour nous, c'était l'occasion
de partir vers le Nord, chez les parents de N, et d'avoir quatre
jours de vrai automne avec du froid et de la pluie dedans. Mais on
n'était pas sûrs-sûrs de la couleur du vote côté mère et
beau-père, et on appréhendait quand même le séjour coincés au
milieu de la campagne quasi-canadienne.
La première bouffée
d'air frais, c'est le caractère libéral et placide de l'Etat de
Washington. Non seulement la marijuana y est en vente absolument
libre, à partir du moment où on a plus de 21 ans, mais c'est aussi
un des premiers Etats d'où sont parties les revendications pour le
mariage gay, dès 1971. Little Saigon, à Seattle, affiche ses noms
de rue en anglais et en vietnamien. Normal. Personne ne trouve rien à
y redire. J'imagine le nombre d'infarctus si d'aventure on essayait
de rédiger pareils panneaux en arabe à Barbès, ou en espagnol au
Texas. Nos amis locaux plaisantent de la coolitude ambiante :
toutes les augmentations d'impôts proposées au vote passent, y
compris celle qui fera payer mille dollars de plus par an à chaque
famille pour le nouveau métro. Et de fait, il y a quelque chose de
vraiment reposant à circuler dans un coin où tout le monde fout la
paix à chacun. En rentrant, un message de mon asso féministe texane
m'indiquera qu'une loi que nous redoutions a été votée ; elle
oblige les femmes victimes de fausse couche, ou ayant recours à
l'avortement, à procéder à l'enterrement du fœtus. Avec toute la
douleur, et la culpabilité, que ça implique. Décidément pas le
même monde.
Ce furent quatre jours de
lecture, de sommeil, de rires et de gavage méthodique. Quatre jours
ô combien bénéfiques, dans cette atmosphère pesante de profonde
fracture idéologique. A se demander comment ce petit monde va
pouvoir un jour se réconcilier : l'Amérique rurale et
l'Amérique urbaine, l'Amérique aux mœurs libérales et l'Amérique
ultra-conservatrice, les intellos salariés et ceux qui n'ont pas ni
boulot ni diplôme. Au Texas, l'atmosphère est parfois explosive.
Finalement, les
beaux-parents n'ont pas voté. Ils vomissent Trump presque autant que
nous et, bien qu'ils profèrent quelques paroles anti-immigration de
temps en temps, on arrive à s'entendre sur son sexisme et la
stupidité de ses promesses. Il y aura même une bonne surprise lors
de ce séjour : la mère de N, jadis très religieuse, m'a
expliqué croire en Dieu mais en aucune institution chrétienne, et
s'est même lancée dans une critique historique de la Bible comme
document écrit par l'Homme. N n'en revenait pas. C'est peut-être là
l'effet positif de cette élection, il faut en tout cas l'espérer :
ramener des conservateurs à peu près raisonnables du côté de
l'humanisme.
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