dimanche, mars 20, 2016

From California, with love. Part III.

III.

Il y a aussi des choses dont on parle moins, parce que c'est moins drôle, moins exotique, et que tout le monde vous imagine folle de bonheur, une planche de surf sous le bras, dans un décor baigné de soleil. La solitude, physique ou psychologique, est devenue un sentiment archiquotidien. Ici, il me faut assumer une grosse part d'étrangéité ; ne pas connaître les codes, mesurer attentivement ce qui se fait ou pas, mais toujours trop tard, avancer avec un accent bizarre, mêlé de britannique et de français, mais sûrement pas autochtone. Il était facile d'être celle qui parlait le mieux anglais tant que j'étais à Paris ; ici, au milieu d'Américains monoglottes, qui ne savent pas ralentir dans les explications techniques ou expliquer les références culturelles à l'étrangère de service, j'ai des moments de flottement. De longs moments. 

Me reviennent des timidités d'adolescence, patiemment camouflées sous le professionnalisme de l'enseignante. Je refuse d'être celle pour qui toute la conversation devra ralentir, celle qu'on écoutera poliment, mais un brin impatiemment quand même. Je rechigne à prendre la parole en public. Parfois même, je buggue. Je veux parler aussi vite et aussi bien qu'en français, avoir à la fois cette aisance dans le maniement des concepts et ce léger décalage humoristique qui font les conversations parisiennes, et je me prends magnifiquement les pieds dans le tapis. Trop tôt, trop maladroit. C'est tout une nouvelle identité qu'il va me falloir inventer.

Parfois, je panique. Mais qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai quitté la famille que je me suis choisie, c'est-à-dire mes amis, ma famille de sang aussi, un travail intéressant, la reconnaissance professionnelle, ma langue, à laquelle je suis si attachée, une ville que je connaissais depuis douze ans... Je dis à qui veut l'entendre que je suis partie par amour, et par goût de l'aventure, et que ce sont les plus belles raisons du monde, mais ces paroles bravaches ne suffisent pas toujours à calmer les angoisses qui couvent, façon feu mal éteint.

Toutes les nuits, je rêve en français. C'est le stratagème qu'a trouvé mon cerveau pour m'épargner un trop grand choc avec ma nouvelle réalité. Je passe ainsi mes nuits dans mon ancien lycée, dans des coulisses de théâtre, ou dans la maison de mon enfance. Tantôt, j'entame ma journée avec l'énergie de celle qui sait pouvoir compter sur une quantité raisonnable de gens qui l'aiment ; tantôt, c'est la nostalgie des affections lointaines et des possibles parisiens qui me plombe. Je me demande combien de temps il faut à un humain pour s'habituer à un environnement, et pour ressentir quelque chose qui s'apparenterait de près ou de loin à une routine.

Aucun commentaire: