Ca faisait un moment que je n'avais plus croisé de journaliste. Oh que je suis contente d'avoir quitté ce milieu.
Pourtant, il n'est pas désagréable, ce dingo de radio. C'est même plutôt un mec bien, qui a choisi de travailler sur la banlieue avec les gens qui la peuplent et la font vivre. Il est investi dans plusieurs projets pédagogiques avec des gamins du 9-3. Grimace quand on lui sort le mythe de l'objectivité journalistique, y substituant la notion "d'honnêteté" : chacun a un angle, suffit de le présenter clairement pour que l'auditeur y adhère, ou pas. Travaille au jour le jour sur le terrain, au lieu de débarquer en périphérie lorsque ça pète. Professionnellement, c'est très certainement un type rare.
Seulement voilà, il a l'arrogance facile. La réponse à tout planquée dans la besace, prête à être dégainée. Il maîtrise l'art du discours, le noyage de poisson technique et la fausse modestie. Une armure de guerrier, peu d'humour sur soi. Toute la différence entre un Chateaubriand et un Romain Gary.
Je ne lui jette pas la pierre. J'en ai rencontré plein, des comme ça, dans ma courte carrière. Jusqu'à mon copain James, timide débutant il y a cinq ans, responsable de rédac bavard et prétentieux aujourd'hui. C'est un métier qui déforme, qui blinde, rend cynique. Ce masque de combattant est probablement ce qu'on exige d'un bon journaleux. Le mien s'attachait décidément bien mal.
Quand on me demande pourquoi j'ai changé de voie, j'ai pris l'habitude de répondre : "Parce que je me sentais nuisible à la communauté humaine dans laquelle je vivais, à monter les faits divers en épingle, à annoncer des licenciements avant le patron, pour vendre du papier." Et c'est totalement vrai. J'énonce aussi, en vrac, les horaires extensibles à l'infini, la galère quand on n'a pas fait d'école de journalisme, les rapports biaisés avec la population, mon manque d'audace et de répartie. Et tout cela aussi est vrai. Mais j'aurais pu le supporter. Bien d'autres métiers supposent l'équivalent.
Non, je crois surtout que j'ai eu peur de m'abîmer. De ne plus voir dans la misère et la détresse qu'un énième sujet de société, de recevoir les confidences avec l'arrière-pensée d'un papier en Une. De penser le monde selon la règle du "mort kilométrique" (un macchabée à deux pas en vaut 50 à Bamako). Je ne veux pas pouvoir me laver les yeux de tout, pour reprendre l'expression de la téléreporter Marine Jacquemin.
Au moins, le métier de prof me permet de rester humaniste.
Pourtant, il n'est pas désagréable, ce dingo de radio. C'est même plutôt un mec bien, qui a choisi de travailler sur la banlieue avec les gens qui la peuplent et la font vivre. Il est investi dans plusieurs projets pédagogiques avec des gamins du 9-3. Grimace quand on lui sort le mythe de l'objectivité journalistique, y substituant la notion "d'honnêteté" : chacun a un angle, suffit de le présenter clairement pour que l'auditeur y adhère, ou pas. Travaille au jour le jour sur le terrain, au lieu de débarquer en périphérie lorsque ça pète. Professionnellement, c'est très certainement un type rare.
Seulement voilà, il a l'arrogance facile. La réponse à tout planquée dans la besace, prête à être dégainée. Il maîtrise l'art du discours, le noyage de poisson technique et la fausse modestie. Une armure de guerrier, peu d'humour sur soi. Toute la différence entre un Chateaubriand et un Romain Gary.
Je ne lui jette pas la pierre. J'en ai rencontré plein, des comme ça, dans ma courte carrière. Jusqu'à mon copain James, timide débutant il y a cinq ans, responsable de rédac bavard et prétentieux aujourd'hui. C'est un métier qui déforme, qui blinde, rend cynique. Ce masque de combattant est probablement ce qu'on exige d'un bon journaleux. Le mien s'attachait décidément bien mal.
Quand on me demande pourquoi j'ai changé de voie, j'ai pris l'habitude de répondre : "Parce que je me sentais nuisible à la communauté humaine dans laquelle je vivais, à monter les faits divers en épingle, à annoncer des licenciements avant le patron, pour vendre du papier." Et c'est totalement vrai. J'énonce aussi, en vrac, les horaires extensibles à l'infini, la galère quand on n'a pas fait d'école de journalisme, les rapports biaisés avec la population, mon manque d'audace et de répartie. Et tout cela aussi est vrai. Mais j'aurais pu le supporter. Bien d'autres métiers supposent l'équivalent.
Non, je crois surtout que j'ai eu peur de m'abîmer. De ne plus voir dans la misère et la détresse qu'un énième sujet de société, de recevoir les confidences avec l'arrière-pensée d'un papier en Une. De penser le monde selon la règle du "mort kilométrique" (un macchabée à deux pas en vaut 50 à Bamako). Je ne veux pas pouvoir me laver les yeux de tout, pour reprendre l'expression de la téléreporter Marine Jacquemin.
Au moins, le métier de prof me permet de rester humaniste.
1 commentaire:
Merci bien Stéven ! Mais je me fais de moins en moins d'illusions sur l'utilité de mon métier...(voir "Grosse fatigue"). Soit dit sans vouloir te décourager, car l'Educ Nat a besoin de gens comme toi.
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