Dès l'élection de
Trump, matin amer, j'ai su que je voulais absolument participer à la
première action de protestation. Il ne s'agirait pas d'une
contestation du résultat d'une élection démocratique, bien que le
processus en soit daté et sujet à caution ; il s'agirait d'un
rassemblement de gens de bonne volonté, démocrates,
abstentionnistes, républicains modérés, écologistes ou
libertariens, qui dirait en substance au président : on vous
regarde. On espère que votre rhétorique misogyne, xénophobe et
anti-intellectuelle, c'était de l'attrape-gogo d'avant scrutin. Et
si ça ne l'est pas, que ce soit bien clair, on ne se laissera pas
faire.
C'est la Women's March
qui m'a fourni cette première belle occasion. Le lendemain de
l'inauguration, un mouvement invitait à défiler pour le libre droit
à disposer de son corps, pour le respect des cultures et religions
différentes et pour le respect de l'environnement. Il n'y avait plus
qu'à se rendre à la capitale de l'Etat, Austin, pour faire plus de
bruit.
Oui mais. Au Texas,
ancien Etat esclavagiste, la tradition de manifestation est quand
même minimale, pour ne pas dire inexistante. Ici comme ailleurs, le
premier amendement de la Constitution garantit la liberté de parole
et de rassemblement. Il faut juste demander un permis de manifester,
qui peut être refusé sans justification, ne pas trop gêner la
circulation, et même faire attention à ce que les pancartes ne
soient pas trop offensantes, recommande le site internet de l'Etat.
Mais dans la culture locale, on manifeste peu. En général, on
trouve quelques dizaines de « protesters » regroupés
dans un parc (mieux toléré pour l'expression démocratique que la
rue) et c'est tout. Il faut dire qu'il n'y a quasiment pas de
syndicats ici, et que le fonctionnement autochtone, c'est plutôt
« Ce job te plaît pas ? Quitte-le et prends-un un autre »
que la plainte aux Ressources Humaines. Certains de mes collègues
avaient même un peu peur de se rendre à la manif, et d'y être
reconnus.
A l'arrivée à Austin,
des grappes et des grappes de gens se massaient vers le Capitol
Building. Certains portant des bonnets roses à oreilles de chat
(pussy power!), d'autres des tee-shirts politisés, et d'autres
encore une infinité de pancartes créatives, à plumes, à
paillettes, ou simplement à gros traits de marqueur exprimant
rageusement une indignation légitime. J'avais prévu de retrouver
des connaissances sur le parvis du Capitole ; la foule était si
nombreuse et si dense que cela fut complètement impossible. Les
organisateurs étaient visiblement dépassés : quelques
bénévoles ont tenté une chaîne humaine pour réguler et diriger
le trafic, ce qui a étonnamment bien marché. Je me suis dit
qu'ailleurs, sans la civilité légendaire des Américains, ça
aurait sans doute tourné à l'étouffade.
Le long du parcours, je verrai des slogans progressistes affichés sur le toit des musées, des cafés donnant tous leurs profits du jour au Planning Familial, des pancartes en espagnol et en arabe, et pas mal d'hommes à nos côtés. Pour une Française habituée à ce que les fins de manifs comportent CRS voire lacrymo, c'était incroyablement paisible. Quand nous sommes passés devant la maison du gouverneur, Greg Abbott, une femme est même sortie de la foule pour aller serrer la main du policier qui menait la garde. On a tourné en rond autour du Capitole, et puis c'était fini. Pas de grands faits héroïques, juste le nécessaire plaisir de se savoir si nombreux, et si déterminés. Ca faisait du bien d'être là. Physiquement.
Le long du parcours, je verrai des slogans progressistes affichés sur le toit des musées, des cafés donnant tous leurs profits du jour au Planning Familial, des pancartes en espagnol et en arabe, et pas mal d'hommes à nos côtés. Pour une Française habituée à ce que les fins de manifs comportent CRS voire lacrymo, c'était incroyablement paisible. Quand nous sommes passés devant la maison du gouverneur, Greg Abbott, une femme est même sortie de la foule pour aller serrer la main du policier qui menait la garde. On a tourné en rond autour du Capitole, et puis c'était fini. Pas de grands faits héroïques, juste le nécessaire plaisir de se savoir si nombreux, et si déterminés. Ca faisait du bien d'être là. Physiquement.
Alors, je ne sais pas si
les progressistes sont en train de redécouvrir les vertus du
militantisme de terrain et de lâcher les pétitions en ligne, comme
ça se murmure. Je ne sais pas si cette belle vague de solidarité se
maintiendra longtemps, assez pour que le Congrès change de bord dans
deux ans, si les marcheurs d'aujourd'hui seront vraiment les
activistes de demain, ni si le mouvement saura garder à la fois sa
chouette radicalité et son appel à de larges populations. Mais
bordel, qu'est-ce que j'ai envie d'en être.