Un peu comme tout le monde, c'est à la lumière de la récente actualité que j'ai découvert le rappeur normand Orelsan, déprogrammé sauvagement des Francofolies de la Rochelle pour mots violents envers la gent féminine. J'ai donc eu la curiosité d'aller lire ses textes (et non pas le seul "Sale p**e" qui fait tant de bruit). Je passerai sur ma répulsion pour ce narcissisme éhonté et l'utilisation d'une langue française aux 300 mots de vocabulaire ; le fond de ses textes est une horreur sans cesse renouvelée. Je le dis, l'affirme, même s'il ne chante plus la chanson incriminée en public, les propos d'Orelsan sont dangereux. Petite explication de texte(s) :
1. Ce jeune homme assimile la femme à sa propriété. Avant je t'aimais, maintenant je rêve de te voir imprimer mes empreintes digitales. T'es une sale catin. ("Sale p**e"). Il est dit plus haut dans la chanson que la petite amie du rappeur l'a trompé avec un autre homme. Donc, automatiquement, elle déchoit au rang de "pute" et mérite d'être frappée. Rappelons tout de même que ni le désamour, ni l'infidélité ne sont choses illégales : on peut certes s'y opposer d'un point de vue moral. Mais en rien cette jeune femme ne mérite d'être dégradée, et punie par la violence physique pour son geste. C'est très important : la rhétorique post-ado d'Orelsan justifie l'injustifiable. Les amoureux déçus qui brûlent le visage de leur ex-copine, dans nos cités ou au Pakistan, ne disent pas autre chose.
2. L'acte sexuel est dégradant pour une femme. On compte pas moins de 4 occurrences du mot "sucer" dans la chanson "Sale p**e", toutes pour rabaisser celle qui jadis fut aimée du poète (la veinarde), ainsi que les charmantes expressions "t'es bonne qu'à te faire péter le rectum", mais aussi "j'aime pas celles qui avalent, j'aime celles qui font des gargarismes" ou "je te tèje la veille et je te rebaise le lendemain, suce ma bite pour la Saint-Valentin" ("Saint-Valentin"). Bien. La fellation, intégrale ou non, la sodomie et même la simple pénétration sont donc des actes capables de faire déchoir une femme, de la faire passer pour une "pute" si cela se sait. Mais aussi des actes désirés par le mâle tout-puissant : il s'agit alors de leurrer la jeune fille en lui faisant croire qu'on l'aime ("Saint-Valentin"), ou de sacrifier des femmes à cette fonction, celle de "chienne". Le désir du mâle est légitime, glorifiant, celui de la femme est honteux, déshonorant. Là encore, on peut se demander où est la différence avec les ignobles machos qui offrent leur proie en tournante à leurs copains.
3. Dernier point, la normalisation de la violence faite aux femmes. Dans la désormais célèbre "sale p**e", ce jeune homme crie sa déception, sa jalousie dévorante, sa haine. Son dépit amoureux a dû être violent, certes, et chacun comprendra qu'on se laisse parfois aller à de telles pensées. On veut que celui qui nous fait souffrir souffre à son tour : c'est pas très glorieux, mais humain. Le problème, c'est lorsqu'on rend ces propos publics, qu'on les diffuse en concert, sur internet : là, ce n'est plus une horreur qui nous a échappé dans la colère, mais des paroles qu'on assume. Ca signifie qu'il est ok d'avoir envie de "déboîter la mâchoire" d'une femme ou de dire qu'elle "mérite [sa] place à l'abattoir". Ce n'est plus une pensée honteuse qu'il faut réprimer, c'est un propos qui a toute sa place au milieu d'un festival musical grand public.
Qu'on remplace un instant le mot "femme" par "Noir" ou "juif" : ces mots deviendront isnoutenables à beaucoup. Les associations de lutte féministe sont-elles si chétives, ou si peu entendues des médias, pour que l'on laisse passer telle horreur ? Tant que l'on permettra la tenue publique, et applaudie, de telles phrases, on pourra dépenser des milliards en prévention contre le violence morale, et physique, faite aux femmes.