"Mesdames et Messieurs, notre train ne marquera pas l'arrêt à gare du Nord pour cause d'émeutes dans les couloirs. Euh...c'est pour votre sécurité, en fait."
Elle cherchait ses mots, la conductrice de la ligne 5. Comment ça, des émeutes en plein Paris ? Elle n'avait sûrement pas signé pour ce genre de mission en entrant à la RATP. Quand le train est passé dans la station, au ralenti et portes jalousement fermées, on a pu apercevoir des rubans rouges barrant les sorties, et quelques usagers fatigués coincés sur les quais. Rien à voir. Circulez.
Ce matin, on en sait un peu plus. Tout est parti d'un "banal" contrôle d'identité, parce qu'un pauvre gars n'avait pas payé son ticket. Un simple sauteur de tourniquet, certes récidiviste. Les témoins évoquent un tabassage en règle de la part de CRS, un soutien musclé de la part de voyageurs, et d'une inévitable perte de contrôle générale.
Je pourrais parler longuement de cette insupportable manière qu'ont les flics de tutoyer et rudoyer, systématiquement. Je pourrais certifier que je n'ai jamais au grand jamais été contrôlée question papiers, dans le RER E qui avait son lot quotidien de vérifications. Pourtant je pourrais très bien être ukrainienne, marocaine ou algérienne. Je pourrais encore rapporter ce sentiment anti-policier de base parmi mes élèves, devenu sentiment anti-Sarko, vaguement inquiétant quand il n'est suivi d'aucune réflexion politique.
Mais à quoi bon identifier des bons et des méchants ? La vérité est que ces pandores agressifs ont peur, et qu'ils croient se protéger en attaquant les premiers. Et c'est aussi que des gamins de Clichy-sous-bois ont assez peur d'un "banal" contrôle policier pour aller risquer leur peau dans un transfo EDF. Dos à dos, mais dans une même incompréhension de l'autre.
Dans les médias, les syndicats de la force armée fustigent ces "jeunes" (terme bien vague, dont on se doute qu'il désigne des gosses plutôt basanés) qui refusent l'état de droit, et la gauche s'en prend à Sarkozy qui a mis des uniformes bleus partout. La population craintive qui crie son ras-le-bol et la minorité agissante qui signe sa colère à coups de voitures brûlées. Des agents armés et une garde-à-vue contre une instit s'opposant à l'arrestation d'un grand-père sans-papiers. La fermeté contre l'éducabilité. On n'en sort pas. Comme si la prévention pouvait fonctionner sans répression, et vice-versa. Et comme si on pouvait faire l'économie de la compréhension de l'autre, de sa pensée et de sa souffrance.
Je ne sais pas bien à quoi ce mouvement est dû, mais cette persistance dans la logique d'affrontement m'effraie. Alors oui, ces projets de police de proximité, de matchs de foot entre flicaille et racaille, ça me paraît une bonne idée. Histoire de comprendre avec son coeur qu'il y a un être humain sous les képis et sous les bandanas.